Sarah Condo, femme policière adorant son métier
Il existe chez bien des gens une conception tordue du métier de policier autochtone, conception selon laquelle leur formation est diluée et à l’effet qu’ils exercent un métier généralement facile, dans une communauté où ils connaissent tout le monde. D’autres pensent au Far West. La réalité est différente, entre ces extrêmes. Si la proximité peut conférer des avantages, parce que les policiers mi’gmaqs reconnaissent souvent les gens qui les appellent, la familiarité des contacts cause son lot d’embûches, parce qu’elle crée notamment des attentes de passe-droit.
GESGAPEGIAG | Quand Sarah Condo, policière de 28ans de Gesgapegiag, a obtenu son diplôme de l’Institut de police de Nicolet, en 2013, elle croyait revenir dans cette communauté et se servir de cette expérience pour aller ailleurs, peut-être comme enquêteuse. Il n’en est maintenant plus question.
Alors que son cousin Dave Condo a été inspiré par son père, Sarah a profité d’un emploi d’été comme réceptionniste au poste de police de Gesgapegiag pour choisir sa carrière.
«J’ai su que je pourrais faire ça. Oui, les gens nous observent, mais je sais faire la part des choses. Est-ce qu’ils vont se mêler de mes affaires? Ce sera toujours comme ça, nous sommes toujours observés, que tu travailles ou pas. […]Mais j’aime tellement majob! J’étais certaine que je ne resterais pas à Gesgapegiag, que je ferais deux ou trois ans puis que j’irais ailleurs. Mais je sais que je peux changer quelque chose maintenant. Je sais que ça va changer ici. Je le vois», dit-elle.
Comme tous les policiers autochtones, elle est passée par l’École nationale de police du Québec pendant15 semaines. Cette étape obligatoire suivait un an passé au Centre de développement de la formation et de la main-d’œuvre de Wendake en études policières.
Sarah Condo s’est ravisée, en ce qui a trait aux fonctions d’enquêteuse, une fois campée comme patrouilleuse. «Il y aune formation pour enquêter sur le trafic de drogue, sur les gangs. Je ne veux plus prendre ce chemin-là. La drogue est un gros problème, oui, dans la communauté, mais je veux être plus que ça», dit-elle.
«Plus que ça», c’est profiter de son talent de communicatrice et de son aptitude à montrer de la compréhension.
«Il faut l’avoir en nous. Notre instructeur nous a dit que dans notre métier, on ne sera pas seulement policier, mais aussi ambulancier, travailleur social et communicateur, parce que nous sommes les premiers à intervenir dans des situations urgentes. Des fois, c’est juste parler. Si je reste une heure et demie avec quelqu’un juste pour parler et éviter une crise, je vais le faire. C’est la meilleure intervention.»
Elle n’hésitera toutefois pas à remplir un dossier et à le soumettre à la Direction des poursuites criminelles et pénales, si c’est justifié. Fait-elle face, comme femme, à des remarques désobligeantes? «Face à un suspect ou à une victime, je n’ai pas vécu ça. […] Non, mais je l’ai senti. C’est venu plus de certains policiers, mais ils ne l’ont pas dit. C’est plate. J’ai fait le même cours qu’eux, mais ça me donne un challenge pour faire de moi une meilleure policière», assure-t-elle.
Sarah Condo a découvert un intérêt pour le métier de policière lors d’un emploi d’été d’agente de bureau au poste de Gesgapegiag.
Photo : Gilles Gagné
Des situations corsées
En 2014, Sarah Condo et son partenaire interviennent dans un logement de Gesgapegiag auprès d’une femme en crise. Ils croient la situation sous contrôle et quittent les lieux, pour être obligés de revenir pour arrêter la dame, qui a cassé du verre.
«On essayait de l’immobiliser. Elle m’a pogné la main et elle a enlevé mon gant. Je me suis coupée avec du verre brisé, elle aussi et son sang est venu en contact avec mon sang», raconte-t-elle.
La dame pouvait souffrir du SIDA ou de l’hépatite C. «Mon ventre s’est raidi et mon cœur a arrêté de battre. J’ai dû aller en trithérapie pendant 21 jours, avec dessuivis pendant neuf mois. Les tests ont révélé après que c’était négatif; je ne suis pas porteuse. La dame a toujours refusé et on ne peut l’obliger à passer un test! Je l’ai vue depuis et elle m’a dit: ‘‘ Salut, comment ça va? ’’. Comme si rien n’était arrivé», déplore Mme Condo.
Originaire de Listuguj, Terry Isaac vient d’être nommé chef de police de Kanesatake, le 12 janvier 2004, parce que son prédécesseur, Tracy Cross, est soupçonné de fermer les yeux sur le de drogue et de cigarettes. M. Isaac et son équipe combattent les activités des trafiquants de cannabis.
«Une de nos opérations est interprétée par les trafiquants de drogue comme une attaque aux vendeurs de cigarettes. Ce n’était pas le cas. Nos interventions étaient vraiment dirigées contre la drogue. Le poste de police se trouve encerclé par une foule en colère. Nous sommes67 policiers à l’intérieur. Si nous avions voulu, nous serions sortis et nous aurions pu prendre le contrôle de la situation; des agents de plusieurs autres communautés autochtones étaient venus nous appuyer. L’un d’eux mesurait six pieds neuf pouces. J’ai regardé dehors et je voyais des femmes dans les manifestants. Je ne voulais pas que des gens soient blessés. Nous sommes sortis sans intervenir», raconte aujourd’hui Terry Isaac.
Les images de cette crise, survenue par une nuit d’hiver glaciale, ont fait le tour du pays. Les manifestants ont mis le feu à la maison du chef James Gabriel, et ils ont fait de même pour le poste de police!
Terry Isaac a opté pour la sagesse lors des événements des 12 et 13 janvier 2004 à Kanesatake. «Les manifestants-contrebandiers de tabac avaient emmené avec eux des femmes et des enfants. Ils s’en servaient souvent comme boucliers humains», dit-il.
Photo : Gilles Gagné