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Société
20 juillet 2020 15 h 36

Trésor national

Pascal Alain

Chroniqueur

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CARLETON-SUR-MER | À ma naissance, cinquante années me séparent de mon père, phénomène plus fréquent autrefois, mais plus rare dans le Québec des années 1970. Mes grands-parents paternels ont habité leur maison avec leur fils unique jusqu’à la toute fin de leur existence, ou presque. Cela faisait partie des coutumes de l’époque où la mort côtoyait de plus près les vivants, où prendre soin des prédécesseurs était gravé dans notre ADN.

C’est d’ailleurs comme ça que ma mère a rencontré mon père. Dans le temps, en l’absence d’hospices, comme on l’entendait souvent alors, les familles constituent un refuge pour les parents. On redonne ce qu’ils ont donné, tout simplement. Au début des années 1960, mon père retient donc les services d’une femme qui veillera sur ses vieux parents. Plus tard, cette femme deviendra son épouse, ma mère. Ma grand-mère décédera subitement, tandis que mon grand-père, amnésique, fera un court passage au Sanatorium de Gaspé pour y mourir en 1971. Construit en 1949 pour soigner les tuberculeux, le « san », comme on l’appelait, était devenu l’un des rares lieux pouvant accueillir des personnes en fin de vie.

Dès le 17e siècle, au temps de la Nouvelle-France, les Canadiens français s’inspirent de bien des tribus africaines et des peuples autochtones sur le plan familial. Au sommet de la pyramide sociale trône la famille. Elle est indélogeable. En cas de besoin, des communautés religieuses prennent le relais de familles nécessiteuses dans la dispensation de soins aux personnes démunies, peu importe leur âge. Au cours du 19e et d’une bonne partie du 20e siècle, ces établissements dirigés par diverses congrégations offrent un toit et des soins aux déshérités de la société, dont les sans-familles. À mesure que le siècle avance, ces « hospices » ouvrent progressivement leurs portes à des gens qui, en échange de sommes d’argent ou de biens quelconques, en arrivent à vivre avec un peu plus de confort au sein de ces institutions. Ce constat laisse entrevoir ce qui se généralisera à partir des années 1950. Dès lors, vieillir dans un établissement collectif allait devenir une pratique plus répandue, favorisée tant par l’État que par des entrepreneurs. En milieu rural, notamment en Gaspésie, cette transition se fait plus lentement. La tradition de garder les personnes âgées au sein du noyau familial est plus fortement ancrée. Les résidences, comme on les dénommera, ne poussent pas non plus dans chacun des villages de la côte.

La décennie 1960 projette donc le Québec dans la modernité. L’État se structure avec sa horde de fonctionnaires qui prend en main la vie en société. On force les congrégations religieuses à lâcher prise, notamment sur les chambres à coucher, les écoles et les hôpitaux des Québécois. La Révolution tranquille est lancée. Impossible de faire marche arrière. Bien que cette période de réformes s’impose, cette révolution à feu doux ne sème pas que du bon.

En l’espace d’une génération, une véritable cassure s’observe. Les bâtisseurs du Québec moderne, nos aînés, allaient se voir montrer les portes des résidences pour terminer leurs jours. Ces porteurs de tradition, autrefois respectés pour leur savoir-faire et leur sagesse, allaient désormais bénéficier de tous les soins inimaginables, air climatisé inclus. Toutefois, l’air climatisé et la télé câblée ne pourront combler la solitude et l’oubli.

La COVID-19 nous force à réfléchir sur les conditions de vie de nos aînés, sur leur place dans la société. Sans vouloir généraliser, on peut facilement conclure qu’il y a place à amélioration. Le Québec possède la plus forte proportion de personnes âgées en résidence au Canada. Il arrive également premier pour plusieurs indicateurs de solitude et d’isolement, y compris le nombre de morts non réclamés. Le Québec est âgé et la Gaspésie l’est encore plus. Il convient de décréter que le vieillissement ne doit pas rimer avec mal de vivre et qu’il est grand temps de protéger ce trésor national que sont nos aînés.