Usagers des rivières : doit-on modifier le rapport de force?
BONAVENTURE, juin 2019 - Avec leurs reflets vert émeraude, les rivières à saumon, surtout celles du Grand Gaspé et la Bonaventure, représentent depuis des décennies un attrait pour les amateurs d'activités nautiques. Les pêcheurs de saumon sentent souvent que les canoteurs, les kayakistes et les baigneurs progressent à leurs dépens. Ces rencontres causent des frictions, puis des compromis. D’importantes divergences d'opinions laissent des touristes et des entreprises spécialisées dans l’organisation d’activités perplexes. Ils se demandent si le rapport de force ne devrait pas changer.
Chaque année sur la rivière Bonaventure, des utilisateurs en dérangent d’autres. Des canoteurs et kayakistes troublent les pêcheurs de saumon, alors que certains pêcheurs font siffler leur mouche et leur hameçon aux oreilles des pagayeurs. Puis, des baigneurs dérangent pêcheurs et pagayeurs, passant parfois dans le tas sur une chambre à air.
Statistiquement, le dérangement est mineur, précise Élodie Brideau, directrice générale de Cime Aventure, fondée en 1989 pour offrir aux visiteurs de toute provenance du camping et des excursions.
« Il y a 36 000 utilisateurs uniques estimés sur la rivière, qu’ils soient des clients de la ZEC, qu’ils viennent chez nous, ou qu’ils soient « libres », sans lien avec une organisation. Il y a 0,014% d’incidents déclarés. Je dis bien déclarés. La plupart des activités sont quand même menées sans problème. Mais toutes les entreprises ont des défis. Le nôtre, c’est d’avoir accès à une autorisation de commerce», dit-elle.
Dans la dynamique réglementaire québécoise, les zones d’exploitation contrôlées, telles la ZEC de la rivière Bonaventure, ont préséance sur les entreprises comme Cime sur un cours d’eau reconnu « rivière à saumon ».
« Il y a une sensibilisation et une collaboration entre les individus. Là où le bât blesse, c’est au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Cime n’est pas certaine d’avoir une autorisation de commerce. Nous, on dépend d’une entente avec l’Association des pêcheurs de la rivière Bonaventure (la ZEC). Si on n’obtient pas cette entente, on ne peut opérer. Du côté de la ZEC, s’ils ne s’entendent pas avec Cime, ils pourraient opérer l’an prochain. Pour Cime, ça demande 1000 heures de travail par année pour assurer le suivi de l’entente », souligne Élodie Brideau.
Quarante-deux ans après le «déclubage» des rivières à saumon, déclubage incomplet, elle voudrait relancer des discussions à une autre échelle.
«Il y a tout un débat à y avoir sur la place du tourisme dans l’utilisation du territoire. Je donne l’exemple de la forêt. La question la plus souvent posée, c’est : combien de mètres cubes peut-on tirer d’une surface donnée? On ne se demande pas souvent quelle est la capacité de la forêt à générer des revenus sans la couper. On se fait dire : quand les canots passent, ça dérange le saumon. Mais l’activité à côté sort le saumon de l’eau ! », dit-elle.
Combien de fois un saumon est-il sorti de l’eau en un été ? Elle souhaiterait que des études rigoureuses soient menées sur le taux de survie de ces saumons. «En regardant les chiffres disponibles, il y aurait trois prises pour chaque saumon remis à l’eau », note-t-elle.
«Je ne suis pas contre la pêche. Tout le monde cherche à avoir du plaisir et je vois le plaisir d’être seul au monde avec ton saumon. Une autre présence est mal vue. Ce n’est pas une activité de développement dans ce cas», précise Mme Brideau.
Elle suggère une réflexion sur la création « d’une entité neutre », pour évaluer les autorisations de commerce et les pratiques des utilisateurs de façon égalitaire. Il faut aussi se demander pourquoi le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs intervient en priorité sur des activités à fort contenu touristique.
Des horaires de partage d’usages
Concrètement, Cime Aventure et la ZEC Bonaventure s’entendent régulièrement.
« On s’est rencontrés six fois depuis le début de 2019. On les rencontre à chaque semaine pendant la saison touristique. À Cime, on fait le point à chaque jour sur la cohabitation. Je n’ai pas une dent contre personne», précise Élodie Brideau.
Les pêcheurs occupent la rivière en début et fin de journée. La pêche cesse généralement pendant que les canots passent en milieu de journée, quand le saumon ne mord pas, en gros de 10 heures à 16 heures.
«La Bonaventure est victime de sa beauté mais quand on parcourt ses abords, on ne ramasse pas un sac à poubelle, en fin de saison », dit-elle.
Le Centre d’initiation à la recherche réalise présentement une étude sur la capacité de support de la rivière.
Élodie Brideau précise qu’avec 70 employés, 30 000 clients fournissant l’équivalent de 70 000 jours d’utilisation de ses installations, Cime Aventure génère des retombées de 20 millions$ par année dans la Baie-des-Chaleurs.
Ronald Cormier, directeur de la ZEC de la rivière Bonaventure, assure que la cohabitation s’améliore entre canoteurs-kayakistes et pêcheurs sportifs. La baignade préoccupe.
«On a eu une eau extrêmement, extrêmement chaude l’été passé, avec un très bas niveau de rivière. Le lieu de passage est encore plus étroit pour les canoteurs dans ces conditions, plus proches des fosses, mais le nouveau défi, c’est la baignade. L’an passé, la rivière était plus chaude que la baie. Il y avait les riverains qui se baignaient, mais aussi M. et Mme Tout-le- monde », dit-il.
Avant de commenter la création éventuelle d’un organisme neutre pour arbitrer les conflits, Ronald Cormier souhaite aller plus loin en concertation.
«On veut utiliser le Conseil de bassin versant, le réactiver, pour réunir les utilisateurs comme Cime, la ZEC, le Malin, en fait le propriétaire du stationnement donnant accès à ce lieu de baignade, et la Ville de Bonaventure. Il y a une table de concertation à mettre en place », dit-il.