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8 juillet 2024 9 h 09

Des mots, des notes et des images ; De la montagne à la mer : Suzanne Guité

Gilles Gagné

Journaliste

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De la montagne à la mer : Suzanne Guité, la mythique artiste vue à travers sa correspondance

l’ouvrage De la montagne à la mer : Suzanne Guité : Entre l’arbre et la pierre, une brique de 490 pages racontant à travers une volumineuse correspondance le parcours de la mythique artiste, décédée de façon tragique le 6 février 1981, au Mexique.

Suzanne Guité a été assassinée par son conjoint de l’époque, l’artiste Hall Houchen, avec qui elle partageait sa vie depuis 1969. Il était jaloux de son bonheur découlant du fait qu’elle avait trouvé, avec un vieux Mexicain, du bois idéal pour ses sculptures.

Née à New Richmond le 10 décembre 1927 dans une famille qui s’est par la suite installée à Percé, elle a étudié à Québec et à Chicago, puis elle a voyagé, notamment en France et en Italie, avant de revenir s’établir à Percé.

Elle y a fondé avec son premier conjoint, le peintre italien Alberto Tommi, le Centre d’art, à partir de 1956, un gigantesque travail de récupération d’une grange abandonnée par la compagnie Robin, Jones and Whitman.

Comble de malheur, en 1959, Alberto Tommi, qu’elle avait rencontré à Florence, meurt subitement à Percé. Suzanne Guité se retrouve alors seule avec quatre enfants.

Ces événements, comme c’est le cas de passablement de monde, Sylvain Rivière les connaissait. Il avait même rencontré Suzanne Guité en 1971, comme adolescent de 16 ans lors d’un voyage sur le pouce à Percé. Il l’avait revue au cours de la décennie suivante.

L’idée d’écrire un livre sur la vie de Suzanne Guité lui a été suggérée par Marie-Josée Tommi, sa fille.

« C’est Marie-Josée qui m’a parlé de ça la première fois. Elle a toujours travaillé à sa façon afin de garder vivante la mémoire de sa mère. Elle a aussi la fibre artistique. J’ai toujours arrêté saluer Marie-Josée. La famille avait gardé les archives, et elle avait par la suite remis beaucoup de choses au Musée de la Gaspésie, à Gaspé. Josée avait gardé des choses personnelles », raconte Sylvain Rivière.


L’auteur Sylvain Rivière trace le parcours de Suzanne Guité à travers les échanges épistolaires de la famille et parfois grâce à des lettres d’amis. Photo : Gilles Gagné

Temps d’arrêt avant de plonger dans le projet

On est avant la pandémie. Il décide de regarder ces archives de plus près. Au début, il consulte quelques feuilles sur lesquelles apparaît la description de ce qu’il serait susceptible de trouver au Musée de la Gaspésie. Auparavant, deux personnes s’étaient un peu cassé les dents en tentant de réaliser l’exercice qu’il s’apprêtait à débuter.

« J‘ai emmené ça chez moi. J’ai mis les papiers, juste les listes de documents, à côté de ma chaise. Je notais les sources de trésors. C’est resté là, sans que je consulte en profondeur les archives au Musée de la Gaspésie. Comme pigiste, j’ai toujours trois-quatre projets d’avance en chemin. Je me suis dit qu’un jour, si j’ai le temps, je regarderai ça », explique l’auteur.

L’arrivée de la pandémie a devancé les plans de Sylvain Rivière, qui profite souvent de la fin de l’hiver pour voyager.

« Je ne pouvais plus bouger. Je ne pouvais aller nulle part! Je suis parti avec une liste de 10 pages, la description des boîtes et je suis allé au Musée, au nouveau centre d’archives. On est en mars et avril 2020. C’est un bel endroit. Tu trouves une boîte, ça t’amène ailleurs. Mais je ne savais pas comment faire un chemin là-dedans. Il y avait beaucoup de lettres, mais peu d’articles de presse. À Percé, Suzanne Guité n’avait pas d’agente, et j’ai trouvé très peu de sources, comme des articles de journaux, qui parlent d’elle. Quand j’ai vu les lettres, j’ai trouvé une façon de refaire la chronologie. Pour beaucoup de monde, la vie de Suzanne s’arrête avec la mort de Tommi. Tout s’arrête là. Mais la correspondance révèle la suite. J’ai laissé les lettres parler », précise l’auteur.

Après la mort de son Alberto, Suzanne Guité vivra d’autres amours, tout en menant de front sa carrière et en assurant l’éducation de ses enfants. Songeur, Sylvain Rivière hésite un peu avant de poursuivre son résumé de situation.

« On comprend dans les lettres que c’est une dépendante affective. Elle donne plus qu’elle reçoit. C’est compréhensible, quand tu crées comme elle créait. Il faut que tu trouves de l’argent. Le plus jeune des enfants est envoyé en Suisse. Les lettres, il faut les lire à voix haute. On découvre la mère aimante, mais tiraillée pour survivre. Tout le monde attend de l’argent d’elle. Elle reçoit des chèques sans fonds quand elle vend ses oeuvres. Elle est la banque à pitons. Elle écrit à un moment donné qu’ils gèlent dans la maison à Percé, qu’ils ont mangé des patates et des oeufs tout l’hiver. C’est pour ça qu’ils ont commencé à aller au Mexique », souligne l’auteur.

Il reste sidéré par la capacité de Suzanne Guité à se sortir de situations qui semblent inextricables.

« C’est toujours une adaptation pour continuer. Elle faisait preuve de beaucoup de volonté et d’avant-gardisme pour l’époque. Aujourd’hui, le moindre festival est subventionné. Elle tenait tout à bout de bras. C’était une bâtisseuse, avec la force rare et herculéenne des ancêtres, comme le dit Marie-Josée. Elle partait des jours dans le parc de la Gaspésie, au mont Albert, à cueillir les rochers servant à ses sculptures. Elle aimait passer du temps avec les travailleurs forestiers, les hommes qui l’accompagnaient pour récolter le bois et la pierre dont elle avait besoin », décrit Sylvain Rivière.

Il vante la grande confiance de Marie-Josée Tommi dans toute cette démarche.

« Josée a été un livre ouvert. Avant que le livre sorte, j’ai installé Josée dans la grande salle chez moi, avec le manuscrit. A-t-elle trouvé des choses à changer? Pantoute! Elle a montré une grande ouverture », résume-t-il.

L’ouvrage est publié aux Éditions du Tullinois, une première pour Sylvain Rivière. « L’éditeur de cette maison d’édition, un Français d’origine qui ne connaissait pas Suzanne, m’avait dit d’aller le voir si j’avais un projet. Ça taponnait avec d’autres maisons. Je voulais faire un beau livre. Depuis la pandémie, ça coûte très cher de publier. On voulait sortir au printemps. Ça ne servait à rien de faire un livre qui ne pouvait s’adresser au peuple. On est arrivé avec un livre de 49,95 $ », dit-il.

Sylvain Rivière a mis en début d’ouvrage une longue préface écrite par Marie-Josée Tommi, une préface éclairante à plusieurs égards puisqu’il s’agit d’une lettre à sa mère, rédigée 43 ans après son départ. « Ça m’a pris deux ans pour convaincre Josée d’écrire la préface », assure l’auteur.

La correspondance publiée, avec les fautes d’orthographe des enfants par souci d’authenticité, dépasse le cadre familial. On y retrouve notamment des messages du poète Gaston Miron, de la chanteuse Pauline Julien, du chanteur Georges Dor et des hommes politiques René Lévesque et Pierre Elliot Trudeau.

L’ouvrage De la montagne à la mer : Suzanne Guité : Entre l’arbre et la pierre, est facile à trouver dans les librairies de la région, de même qu’au Musée de la Gaspésie.

 

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