Des mots, des notes et des images; Michel Landry
GASPÉ | Peut-on échapper à sa condition, faire table rase de son passé et ne plus jamais regarder derrière? C’est l’une des questions que soulève Michel Landry dans son premier roman, Écarté, paru cet automne chez Leméac.
Le personnage principal, Aurèle, enseigne à l’Université Brown, aux États-Unis, et peut facilement pérorer à l’improviste sur la naissance de la philosophie dans la Grèce antique. Les débats d’écoles de pensée en recherche fondamentale entre les Anciens et les Modernes – pour reprendre l’expression consacrée à une célèbre querelle – résonnent davantage chez lui que la simple appréciation de la frivolité du quotidien. Le monde qu’il s’est forgé est – volontairement – à 1000 lieues de celui dont il est issu.
Aurèle est né dans un petit village rural, qu’on peut facilement imaginer quelque part en Gaspésie. Sa famille et les gens de son patelin sont davantage portés sur la chasse à l’orignal, les moteurs à deux temps, la bière d’après-midi par un automne ensoleillé et toutes ces simples joies éphémères. Ce qui n’est pas une tare en soi, sauf pour le protagoniste, qui les regarde de très haut. « La distance et le travail m’ont gardé d’un monde avec lequel je ne partage rien », résume-t-il.
C’est ce qu’il croit. Ou peut-être ce qu’il veut se faire croire. Aurèle avait prévu ne jamais revenir dans son village natal. Mais au décès de sa tante Marie, il se laisse convaincre que celle-ci aurait souhaité qu’il soit présent pour ses obsèques. Il n’a d’autre choix que de renouer avec son ancienne vie, ses vieilles connaissances et surtout, ses souvenirs. Ceux de sa cousine Charlotte, notamment.
Il faut dire que son enfance n’a pas été des plus heureuses, entre un père violent et alcoolique, une mère souffrant d’aveuglement volontaire et un cousin et une cousine qui – sans rien divulgâcher – n’auront pas un parcours enviable.
Enfermé dans ses schémas de pensée, névrosé, irascible envers sa famille qui l’accueille dans toute son innocence (au premier et au deuxième sens du terme, selon les points de vue), Aurèle a toute la difficulté du monde à composer avec le fruit de ses origines. Il ne les embrasse pas; au contraire, il les méprise. Sa cousine Mathilde est « laide et piétinante ». Avec condescendance, il dira que son mari Guylain est « bien sûr un type manuel ». Que sa propre mère et Mathilde – encore elle – ont des conversations vides comme « deux dindes qui glougloutent ». Sans parler de son père, Narcisse, qu’il déteste (avec raison, conviendront les lecteurs).
Pour sa part, Aurèle est un être cérébral, qui est plus apte à analyser la source de sa joie que de la vivre. « De toute façon, la question du bonheur m’a toujours paru secondaire. On la met d’abord de côté, alors on peut avancer, on peut essayer de faire quelque chose de notre existence », dira-t-il de manière (trop?) rationnelle. Mais à côtoyer de nouveau son noyau familial, ses instincts refont surface. Il n’est finalement peut-être pas si différent …
Michel Landry lors du lancement de son roman à Carleton-sur-Mer le 13 septembre dernier. Photo : Gilles Gagné
L’Homme et sa nature
Pour Michel Landry, ce rapport entre deux univers complètement à l’opposé était intéressant à développer. Enseignant en histoire au campus de Carleton-sur-Mer, l’auteur peut lui-même discourir sur les bases du christianisme et ne rechigne pas une virée en forêt pour aller titiller le chevreuil. « J’ai ces deux univers-là que j’ai voulu pousser à l’extrême. Je me définis un peu comme un intellectuel de région avec ce double bagage. Je me suis beaucoup amusé avec ça. Mais c’est une pure fiction, sur toute la ligne. Ce n’est pas du tout l’univers de ma famille. En même temps, l’inspiration vient toujours de quelque part. Ce n’est pas la Divine providence qui plante une idée dans ta tête. Ce sont tout de même des univers que je connais. »
Ceci dit, pour reprendre l’introduction, peut-on oui ou non échapper à sa condition et faire fi de ses accointances originelles? Pour Aurèle, que nenni. « Comment les ficelles qui nous retiennent au passé nous définissent, continuent de nous définir dans le présent et dans l’avenir? La réponse dans le roman, c’est que non, on est toujours ramenés à cet état initial; c’est en nous pour toujours. »
Il appartient cependant à tout un chacun de composer – ou non – avec son passé, précise Michel Landry, qui utilisera à propos l’analogie du collet à lièvre pour décrire son personnage. Plus il fuit, se dépêtre, plus il accélère sa propre fin. « On voit que lui, il est toujours ramené à son passé. Mais ça n’implique que lui, avec ses choix et la façon dont il se perçoit; de l’image qu’il a de sa famille et de ce qu’il a été. Le passé, quoiqu’on en fasse, continue de nous suivre. Sauf qu’on peut choisir de voir si on le laisse nous définir ou pas. Aurèle, lui, n’est pas en paix et n’y parvient pas. Il juge de la banalité de la vie des gens de son village, quand il n’est pas capable de porter un regard sur sa propre vie à lui. Son erreur, c’est de trop vouloir s’en dissocier. Ça finit par le rattraper. Il y aurait d’autres possibilités, pour porter ce bagage et le réinvestir autrement pour en faire du positif. Mais je lui ai volontairement fait emprunter ce sentier. » Sentier qui se terminera sur une scène finale qui laisse à réfléchir, à l’image du reste de l’ouvrage.
Pour la petite histoire, jusqu’en 2021, moment où il a commencé à coucher sur papier quelques idées, Michel Landry n’avait aucune prétention littéraire et anticipait déjà le syndrome de l’imposteur. « Je n’écrivais pas pour publier; c’était un peu thérapeutique et pour voir ce que j’étais capable de faire. » Encouragé par sa conjointe et une collègue, il s’est toutefois pris au jeu et, rapidement, un éditeur s’est greffé en voyant le potentiel de roman. La démarche est demeurée secrète, ou presque, jusqu’à quelques jours du lancement, en septembre.
Depuis, Écarté s’attire de bons commentaires un peu partout dans la région. On lui souhaite maintenant qu’il se fraye un chemin dans l’opaque écosystème littéraire montréalais et qu’il reçoive un aussi bon accueil que dans sa Gaspésie natale. À bon entendeur.
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