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27 mars 2024 11 h 15

Dossier pêche 3/5 : Le sébaste

À la même période l’an dernier, GRAFFICI publiait un dossier à propos de la pêche au sébaste. À ce moment, le feu vert n’avait toujours pas été donné pour sa capture commerciale. Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis. Aujourd’hui, la ressource demeure abondante. Même si les pêcheurs ont finalement obtenu leur autorisation pour se lancer à son assaut, les défis demeurent multiples et complexes. C’est d’autant plus vrai qu’ils sont en partie imbriqués avec les enjeux entourant la crevette nordique, dont dépendent environ 1000 emplois directs et indirects dans le Grand Gaspé seulement. Voici un résumé de plusieurs facettes pour bien comprendre le phénomène.

Le sébaste en forte abondance, mais en déclin

RIVIÈRE-AU-RENARD | La biomasse de sébaste est en décroissance dans le golfe du Saint-Laurent, malgré une réouverture commerciale après presque 30 ans de moratoire. Dans l’absolu, celui que l’on appelle le rouge dans le jargon des pêches (redfish en anglais) est tout de même très abondant et en excellente santé.

Rappelons d’emblée que si le sébaste est de retour en aussi grande forme actuellement dans les eaux du Saint-Laurent, c’est grâce aux cohortes de 2011 à 2013. Pour des raisons qui sont difficiles à déterminer hors de tout doute – le réchauffement des eaux y est certainement pour quelque chose – ces trois années ont été extrêmement fastes. Un peu comme l’équivalent de gagner à la loterie de la vie sous-marine, selon plusieurs experts. Conséquence directe : ce poisson de fond a proliféré allègrement et a atteint des niveaux records.

À son sommet, en 2019, la biomasse de sébaste était estimée à 4,3 millions de tonnes. À noter ici que deux espèces distinctes sont présentes : Sebastes mentella et Sebastes fasciatus, durement différenciables pour l’oeil du non initié. La première est majoritaire, à plus de 90 %. La deuxième va relativement bien, mais demeure sous observation (à des fins de concision, l’emploi du terme sébaste se référera généralement à Sebastes mentella).

Donc, près de cinq ans après son apogée, la biomasse d’individus matures était estimée à 2,3 millions de tonnes; une diminution de plus de 45 %. Faut-il s’en inquiéter? Pas vraiment, explique Caroline Senay, biologiste à l’évaluation des stocks pour Pêches et Océans Canada (MPO). « On est confortablement dans la zone saine. C’est en fait un chiffre faramineux en tonnes. Mais on voit que la biomasse diminue ces dernières années, principalement parce que le poisson a arrêté de grandir. »


Caroline Senay, biologiste à l’évaluation des stocks pour Pêches et Océans Canada. Photo : Pêches et Océans Canada

Selon la littérature scientifique, Sebastes mentella peut atteindre une longueur maximale de 60 centimètres. Depuis 2021, ceux observés dans le Saint-Laurent semblent cependant connaître un arrêt de leur croissance autour de 24 à 25 centimètres. « Ça, c’est une plus ou moins bonne nouvelle, particulièrement pour les pêcheurs qui attendaient des poissons plus gros. Ces cohortes vont rester plus petites que ce à quoi on s’attendait », précise Caroline Senay.

Ironiquement, l’hypothèse la plus probable qui explique l’arrêt de sa croissance est sa propre abondance. La capacité du milieu à supporter tous ces individus semble avoir atteint ses limites. Une biomasse de 4,3 millions de tonnes engendre des défis alimentaires évidents; une pression indue est appliquée. « Ça fait beaucoup de sébaste dans le système. Est-ce qu’il y a assez de nourriture? Visiblement, pas nécessairement assez pour que tout le monde exploite son plein potentiel. » Le réchauffement de l’eau pourrait aussi avoir une incidence sur le développement du sébaste, selon des expériences menées en laboratoire à l’Institut Maurice-Lamontagne.

En bout de ligne, croissance lente, maturité atteinte plus rapidement et âge de reproduction précoce ne font pas bon ménage. « Ce sont donc des poissons, qui en règle générale, vont mourir plus rapidement », résume la biologiste.

À quelle vitesse? Les projections dépendent de quelques variables, dont l’effort de pêche qui sera appliqué dans les prochaines années. La mortalité naturelle médiane tourne autour de 25 % annuellement. Aucune nouvelle cohorte de sébaste n’a par ailleurs été enregistrée jusqu’ici pour « reconstruire » la population. Chose certaine, avec ou sans pêche commerciale, le déclin se continuera.

Considérant cette mortalité naturelle de 25 % par année, les scientifiques arrivent à un consensus pour les pêcheurs. Ceux-ci pourraient capturer la moitié de ce pourcentage sans conséquence néfaste, soit 12,5 % de la biomasse.

Les débarquements potentiels pourraient donc – selon les scientifiques – se situer entre 88 000 et 318 000 tonnes pour cette année, sans problème sur la ressource. Sans pêche, dans neuf ans, la biomasse du sébaste ne sera plus qu’à 10 % de ce qu’elle est actuellement. Avec une pêche moindrement soutenue, cette même barre sera atteinte dans seulement six ans. Cette forte diminution marque l’imagination, mais les 230 000 tonnes de sébaste restantes demeureraient une population considérable. « On a de quoi faire une très belle pêche encore quelques années, écologiquement parlant, mais ces cohortes de 2011 à 2013 ne seront pas éternelles », remarque Caroline Senay.

Depuis au moins 2017, les avis scientifiques indiquent qu’une pêche commerciale aurait pu être faite sans altérer significativement la biomasse de sébaste. Les poissons étaient cependant encore relativement petits – autour de 22 cm – et plusieurs espéraient que leur croissance pourrait se continuer. Ce n’est finalement pas arrivé.

 

Pour lire tout le dossier Pêche :
1/5 LA PERLE ROSE DU SAINT-LAURENT EN CHUTE LIBRE
2/5 CREVETTIERS : À QUAND UN VRAI PROGRAMME D’AIDE?
4/5 LES CREVETTIERS À LA RESCOUSSE … OU PAS
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