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27 mars 2024 11 h 16

Dossier pêche 1/5 : La perle rose

Gilles Gagné

Journaliste

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À la même période l’an dernier, GRAFFICI publiait un dossier à propos de la pêche au sébaste. À ce moment, le feu vert n’avait toujours pas été donné pour sa capture commerciale. Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis. Aujourd’hui, la ressource demeure abondante. Même si les pêcheurs ont finalement obtenu leur autorisation pour se lancer à son assaut, les défis demeurent multiples et complexes. C’est d’autant plus vrai qu’ils sont en partie imbriqués avec les enjeux entourant la crevette nordique, dont dépendent environ 1000 emplois directs et indirects dans le Grand Gaspé seulement. Voici un résumé de plusieurs facettes pour bien comprendre le phénomène.

La perle rose du Saint-Laurent en chute libre

SAINTE-ANNE-DES-MONTS | La dernière décennie a été catastrophique pour la crevette nordique, alors que les stocks n’ont cessé de s’effondrer. Les quantités de perles roses sont en chute libre dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent.

Si elle a évité d’instaurer un moratoire sur la pêche de ce petit crustacé, la ministre fédérale des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, Diane Lebouthillier, a néanmoins autorisé un très faible quota pour la prochaine saison : 3060 tonnes. Pour le Québec, on parle de 1080 tonnes que devront se partager les pêcheurs qui, sur les 39 qui détiennent un permis de pêche à la crevette, décideront de prendre la mer.

Il s’agit d’une baisse draconienne de 79 % du total autorisé des captures (TAC) par rapport à celui de l’année dernière, qui s’établissait à 14 524 tonnes. Mais la ressource était si rare qu’à peine un peu plus de 5000 tonnes ont été pêchées par les crevettiers du Québec, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve-et-Labrador, alors qu’il y a 10 ans, le contingent était de 30 711 tonnes.


La ressource est si rare qu’à peine un peu plus de 5000 tonnes ont été pêchées en 2023 par les crevettiers du Québec, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve-et-Labrador, alors qu’il y a 10 ans, les prises étaient de près de 30 000 tonnes. Photo : Johanne Fournier

Pêcheurs déçus, mais pas surpris

Comme les crevettiers vivent des temps difficiles depuis quelques années, c’est donc dire qu’ils appréhendent le pire. S’ils ne peuvent faire autrement que d’être déçus, ils n’ont cependant pas été surpris de l’annonce de la ministre. « Les pêcheurs savent bien que la biomasse n’est plus ce qu’elle était », témoigne le directeur de l’Office des pêcheurs de crevette du Québec, Patrice Élément.

Même son de cloche du côté de l’Association des capitaines-propriétaires de la Gaspésie. « C’est ce que les scientifiques avaient proposé, et on était d’accord, corrobore le crevettier et président de l’organisme. On n’avait pas le choix! » Avec un si faible volume par pêcheur, la rentabilité sera cependant impossible à atteindre, croit Vincent Dupuis. « Ça représente un voyage de pêche! Mais au moins, on va pouvoir faire une pêche dirigée qui va donner des renseignements aux scientifiques. »

Porte de sortie pour les usines?

Comme les débarquements seront trop faibles pour faire fonctionner les trois usines de transformation de Matane (voir l’encadré sous ce texte), de Rivière-au-Renard et de L’Anse-au- Griffon, qu’est-ce qui les alimentera donc? « De la crevette importée, qu’on appelle la double frozen, répond le directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche, Jean-Paul Gagné. Marinard [à Rivière-au-Renard] en produit actuellement. » Ce sera donc l’une des seules portes de sortie pour ces usines. Notons que l’usine Les Fruits de mer de l’Est du Québec à Matane transformait également le crabe et le homard.

Bien que la ministre Lebouthillier ait annoncé la réouverture de la pêche au sébaste, ces entreprises ne transformeront pas ce poisson. « Aucune n’a de permis pour transformer le sébaste », confirme M. Gagné. Notons cependant que l’entreprise Les Pêcheries gaspésiennes de Rivière-au-Renard, qui a développé une expertise de transformation du sébaste issu d’une pêche exploratoire, continuera à traiter le fameux poisson rouge.

Sombres perspectives

Les perspectives de l’état des stocks de crevette nordique du Saint-Laurent n’annoncent rien de bon à court et à moyen termes. Les conclusions de la dernière évaluation scientifique réalisée par le ministère fédéral des Pêches et des Océans (MPO) ne fait pas état de nouvelles cohortes de la ressource. « Les stocks sont à leur plus faible niveau d’abondance que l’on a mesuré depuis 1990 », atteste le biologiste en évaluation des stocks de crevette du MPO, Hugo Bourdages.

Il est toutefois difficile, pour le scientifique, de donner une valeur absolue de la quantité de crevettes dans le golfe. Il préfère parler de trajectoire des stocks et de valeurs relatives. Pour illustrer son propos, il indique que la zone Sept-Îles est aujourd’hui estimée à environ 5 % du niveau d’abondance de la biomasse du début des années 2000, alors que la zone Anticosti est à 17 % et la zone Esquiman à 37 %.

Conditions écosystémiques défavorables

« La crevette est exposée à des conditions écosystémiques de plus en plus défavorables dans le golfe, constate le spécialiste de l’Institut Maurice-Lamontagne à Mont-Joli. On a juste à penser à l’augmentation de la température et à la perte d’oxygène des eaux profondes. Il ne faut pas oublier l’augmentation de la prédation par le sébaste. Rien ne nous indique que ça va s’améliorer dans les prochaines années. »

Parlant du sébaste, il n’est pas possible, selon M. Bourdages, d’évaluer la quantité annuelle de crevettes nordiques que ce poisson consomme. « Pour y arriver, il faudrait faire plusieurs hypothèses avec beaucoup d’incertitude. On préfère dire que la biomasse de sébaste était, il y a 15 ans, de moins de 100 000 tonnes et qu’elle est aujourd’hui d’environ 3 millions de tonnes. » La population de sébastes a donc augmenté de 30 fois en une décennie et demie.

Hugo Bourdages est aux premières loges pour constater combien le golfe du Saint-Laurent est en transformation. « Il y a des espèces gagnantes et d’autres qui sont perdantes, comme la crevette nordique. Il va falloir que, dans le futur, l’industrie puisse s’adapter à ces changements pour exploiter des espèces qui vont bien et diminuer la pression de la pêche sur celles qui sont défavorisées. »

Inquiétude et espoir

Une diminution de la productivité observée dans les stocks de crevette sème de l’inquiétude relativement au renouvellement des cohortes. « Il y a une faible abondance de petites crevettes », confirme Hugo Bourdages. De plus, les scientifiques constatent une perte de l’habitat du petit crustacé en raison du réchauffement des eaux profondes.

« L’espoir, pour la crevette du golfe, c’est qu’elle puisse retrouver localement des conditions de température et d’oxygène qui vont lui être favorables, souhaite l’expert. La distribution de la crevette dans le golfe est dans de plus faibles profondeurs de son aire de distribution habituelle. Donc, l’habitat du futur de la crevette sera de superficie moindre, ce qui va nous amener à avoir des stocks de plus faible abondance et moins productifs. Mais, il va rester de la crevette dans le golfe. »

Johanne Fournier

Pour lire tout le dossier Pêche :
2/5 CREVETTIERS : À QUAND UN VRAI PROGRAMME D’AIDE?
3/5 LE SÉBASTE EN FORTE ABONDANCE, MAIS EN DÉCLIN
4/5 LES CREVETTIERS À LA RESCOUSSE … OU PAS
5/5 LE TYPE D’ENGIN FAIT TOUTE LA DIFFÉRENCE DANS LA PÊCHE AU SÉBASTE, SELON DOMINIQUE ROBERT