Dossier dépannage alimentaire : augmentation de la demande
Avignon-Ouest et Bonaventure-Est, un nombre grandissant de personnes seules demandent de l’aide alimentaire
Par Gilles Gagné
PASPÉBIAC | Comme c’est le cas de la Source alimentaire Bonavignon, le Centre d’action bénévole L’Ascension-Escuminac de Matapédia et le Collectif Aliment-Terre de Paspébiac voient augmenter les rangs de leurs clients souffrant de précarité alimentaire.
Le coordonnateur du Collectif Aliment-Terre, Sylvain Badran, observe des hausses régulières depuis les deux dernières années.
« L’an passé, on a connu une hausse de 15 % des dépannages. Au 31 mars, on avait réalisé 340 dépannages et après six mois de l’année budgétaire actuelle, on en a fait 205. Au rythme où vont les choses, c’est la première fois qu’on dépassera 400 dépannages, puisqu’on en a fait 205 après six mois. Ça donnera une autre augmentation de 15 %, donc 30 % en deux ans », souligne-t-il.
Cet achalandage pose un dilemme dont l’importance croît avec le temps, ajoute M. Badran.
« Ça soulève la question de l’accessibilité, et cette question n’est pas évidente. Chez certaines personnes, on doit limiter le nombre de dépannages. Les gens peuvent en avoir jusqu’à cinq par année; avant c’était quatre. Il y a des personnes à qui on pourrait en donner facilement à chaque mois », dit-il.
La concentration de population varie passablement dans l’axe Saint-Siméon-Port-Daniel que dessert le Collectif Aliment-Terre. Les 35 kilomètres entre Saint-Siméon et Paspébiac renferment 80 % de la population, comparativement aux 35 kilomètres séparant Hope de la cimenterie de Port-Daniel, la limite est du territoire d’intervention de l’organisme.
« Pour certaines personnes, se rendre à nos locaux est un enjeu. Des fois, on se permet de livrer le dépannage à quelqu’un qui va se rendre à destination. Des gens empruntent des sous pour payer un service de taxi. Paspébiac compte pour 25 % de notre population de 12 000 personnes et la ville de Bonaventure, avec 3000 personnes, ajoute encore 25 %. Comment bien desservir les autres communautés est l’enjeu », précise M. Badran.
Le Collectif Aliment-Terre compte sur un budget de 325 000 $ par an pour toutes ses responsabilités, incluant payer les six personnes d’une équipe qui réalise les mandats de dépannage, de cuisines collectives, tout en étant fiduciaire du budget du programme Nourrir notre monde pour la MRC de Bonaventure.
Le Programme de soutien aux organismes communautaires fournit environ la moitié de ces 325 000 $, alors que Centraide, avec 18 000 $, les communautés religieuses, avec 15 000 $, le Plan de lutte à la pauvreté, avec 60 000 $, Nourrir notre monde, avec 30 000 $ et Banques alimentaires du Québec, avec des montants variables, complètent la tarte budgétaire.
Comme ailleurs en Gaspésie, la flambée inflationniste des trois dernières années frappe fort les gens vivant seuls.
« Les personnes seules, historiquement, peu importe d’où elles tirent leurs revenus, occupent le haut du pavé en dépannage alimentaire. On voit des personnes qui ont des emplois, qui travaillent et qui n’y arrivent pas, au salaire minimum. Même si tu travailles fort et que tu cumules les emplois, il vient un temps où c’est la carte de crédit, ou je pile sur mon orgueil et je vais à la banque alimentaire. Les gens appellent pour dire qu’ils viennent pour quelqu’un d’autre, mais on pense que c’est pour eux. Un autre dilemme qui touche les gens, c’est quand la carte est vraiment pleine et qu’ils n’arrivent pas à la payer », raconte M. Badran.
Pour son organisme, le dépannage constitue un acte plus complexe que de remplir des boîtes pour citoyens aux prises avec un frigo vide.
« C’est beaucoup de travail en amont. On accorde de l’importance à la qualité de la nourriture. On reçoit des caisses de bananes, de légumes, de la viande, d’autres fruits. Quand ils sont un peu maganés, on les transforme. On essaie d’offrir de la quantité, mais aussi de la qualité, pas seulement des cannages. On fait l’achat de beaucoup d’aliments frais. Nos maraîchers locaux, on les encourage quand on peut », signale Sylvain Badran.
L’équipe du Collectif Aliment-Terre voit notamment arriver dans ses locaux des gens d’âges divers habitant en HLM (habitations à loyer modique). « Les normes déterminent que pas plus de 25 % de leurs revenus doit servir au logement. On [les décideurs] pensait que ce serait suffisant pour qu’ils joignent les deux bouts. L’inflation révèle que ce ne l’est pas », déplore-t-il.
Le Collectif Aliment-Terre mobilise cette année 302 membres participant à ses cuisines collectives et 44 personnes de plus dans ses jardins communautaires, sans compter qu’il supervise le jardin de Family Ties, le carrefour-famille de New Carlisle. En 2022-2023, ces gens ont préparé 16 418 portions, un record, considérant que la moyenne se situe à 13 000. « Cette année, on devrait se situer dans les mêmes eaux », conclut Sylvain Badran, en parlant de la moyenne.
L’équipe du Collectif Aliment-Terre se réunit chaque mardi pour voir à l’amélioration des services de l’organisme. Le coordonnateur Sylvain Badran est accompagné ici par Véronique Cimon, intervenante en sécurité alimentaire et Joanie Cormier-Samson, responsable de l’aide alimentaire. Photo : Gilles Gagné
La solitude coûte cher aussi dans Avignon-Ouest
À Matapédia, Lisa Guérette, directrice générale du Centre d’action bénévole L’Ascension-Escuminac, voit une tendance lourde s’enraciner davantage avec l’inflation.
« On a beaucoup de personnes seules en dépannage alimentaire, mais ça coûte cher de vivre seul. À deux, on peut partager les dépenses. Chez certaines personnes seules, il ne faut pas grand-chose pour déstabiliser le budget : une auto brisée, une maladie, une réparation imprévue par exemple. Lorsque la fin du mois arrive, elles ont des besoins. On voit un peu de tout. Chaque cas est différent. Il y a d’autres services au Centre d’action bénévole pour améliorer la situation de ces personnes », précise Mme Guérette.
Le Centre d’action bénévole L’Ascension-Escuminac offre du dépannage alimentaire dans tout le secteur ouest de la MRC d’Avignon, qui compte autour de 4500 personnes. L’organisme a de plus ouvert un comptoir à Pointe-à-la-Croix en 2022 pour permettre à la population vivant à l’ouest de ce grand territoire de s’épargner un aller-retour à Matapédia, 40 kilomètres qui comptent quand on éprouve de la difficulté à joindre les deux bouts.
« Les gens qui n’ont plus rien nous appellent et on leur donne une boîte, qu’on appelle un panier de dépannage. On offre aussi un service d’animation en cuisine collective et la popote roulante pour les personnes âgées, livrée deux fois par semaine, un service de plats congelés, entreposés au Centre d’action bénévole, et les gens peuvent venir en chercher. Il y a aussi la guignolée à Noël, où on offre un panier un peu plus garni », décrit Lisa Guérette.
Pour assurer la discrétion du service, c’est la responsable du dépannage alimentaire qui fait, seule, le lien entre les usagers et le Centre d’action bénévole, pour la prise de rendez-vous et la visite des clients venant chercher les denrées.
« On voit une augmentation de la demande, pas fulgurante, mais une augmentation quand même. Elle est plus due à l’inflation. Il y a quelques années, notre responsable ne voyait pas de travailleurs. C’est assez nouveau comme phénomène. On ne voit pas beaucoup de familles, parce qu’elles reçoivent des prestations pour ça », note Mme Guérette.
En 2021-22, le Centre d’action bénévole a fourni 127 dépannages à 188 personnes. En 2022-23, il a réalisé 145 dépannages, une augmentation de 14,2 %. Ces dépannages ont touché 225 personnes.
« Cette année, on remarque une augmentation, mais évidemment, on n’a pas le portrait annuel encore. Par ailleurs, il faut préciser que les repas de la popote roulante et des plats givrés sont vendus. Ils sont réservés aux personnes aînées ou malades, et on consacre une partie de notre budget pour subventionner ce service. Donc, ils sont vendus en deçà du prix coûtant. En 2022-23, on a vendu 1734 repas de la popote et 8893 plats givrés », note Lisa Guérette.
Le Centre d’action bénévole donne aussi un encadrement à des gens plus vulnérables ayant besoin d’un appui dans certains domaines susceptibles d’améliorer leur situation budgétaire.
« Nous voyons des aînés vulnérables qui n’ont pas réussi à faire leur rapport d’impôt, ou qui ont droit à certaines déductions sans le savoir. Des gens ont des problèmes de santé mentale. La lecture est un problème. On dit que 50 % de la population est fonctionnellement analphabète dans notre région mais le taux est plus élevé que ça quand il s’agit de documents compliqués », assure-t-elle.
Lisa Guérette souhaite un élargissement du transport collectif dans la région pour briser l’isolement des gens plus vulnérables, ce qui se traduit généralement par une amélioration des conditions de vie.
« Le manque de transport collectif affecte tout le monde, les personnes âgées, les jeunes sans véhicule et les personnes pauvres », conclut-elle.
Au coeur de l’aide alimentaire
Par Jean-Philippe Thibault
CHANDLER | Dans la MRC du Rocher-Percé, la porte d’entrée de l’aide alimentaire se trouve au Centre d’Action Bénévole Gascons-Percé.
Depuis le 1er avril, ce sont déjà 177 personnes qui ont bénéficié de l’aide alimentaire. Le mois dernier, un appel à tous a été lancé pour recueillir des denrées, qui se font rares présentement. « Un mois on peut avoir 15 demandes, mais l’autre après ça peut être 45 ou 50. Ça varie et il y a des cycles comme le trou noir du chômage après le travail en usine », analyse Cyndy Langlois, travailleuse de milieu pour les aînés depuis cinq ans et qui chapeaute ce dossier. Trois employés sont attitrés à l’aide alimentaire au Centre d’Action Bénévole.
Pour l’instant, l’organisation réussit à répondre à la demande, mais avoue devoir parfois diminuer les portions de ses paniers. « On doit acheter des denrées, mais l’argent ne suit pas. On a le même financement qu’il y a 10 ans, mais l’épicerie a triplé [de prix]. On a des trous dans notre dépannage, mais on comble », ajoute Cyndy Langlois, sans vouloir s’avancer précisément sur les budgets alloués pour l’aide alimentaire. Chose certaine, la demande est grande.
L’an dernier, la Sûreté du Québec, les radios CHNC et Bleu FM, la Maison des jeunes et le Carrefour jeunesse emploi ont tous mis l’épaule à la roue lors de la guignolée du temps des Fêtes, ce qui a permis d’amasser un peu plus de 40 000 $ – un record – entièrement remis au Centre d’Action Bénévole Gascons-Percé pour des paniers de Noël. Mais les denrées ne demeurent jamais bien longtemps sur les tablettes. « Si on fait la guignolée le 7 décembre, le 20, il ne reste plus rien. Décembre, c’est tough. Pour les aînés, les revenus n’ont pas suivi. C’est difficile aussi pour les assistés sociaux qui vivent seuls. Personne ne peut arriver présentement avec le prix des loyers », analyse la travailleuse de milieu.
Il est d’ailleurs parfois difficile pour les résidents à l’extrémité de la MRC de se rendre jusqu’à Chandler, où se situent leurs bureaux, pour profiter de leurs services. « Il y a des angles morts, on le sait. Ce sont des gens qu’on ne peut pas toujours rejoindre, parce que sinon on en aurait encore plus. En Gaspésie, c’est toujours une question de transport. »
Le Centre d’Action Bénévole Gascons-Percé gère aussi les plats congelés. Là encore, la demande augmente. D’une centaine par mois il y a deux ans, ce sont maintenant environ 220 portions qui doivent être préparées mensuellement. Les congélateurs sont pleins. « Et il faut qu’ils soient pleins! Ça sort à coup de 24 et de 30. La situation n’est vraiment pas rose pour nos aînés et nos personnes seules », conclut Cyndy Langlois.
Cyndy Langlois, travailleuse de milieu pour les aînés au Centre d’Action Bénévole Gascons-Percé. Photo : Jean-Philippe Thibault
Pour lire tout le dossier :
DOSSIER DÉPANNAGE ALIMENTAIRE : RECOURS, LIMITES ET SOLUTIONS
DOSSIER DÉPANNAGE ALIMENTAIRE : AUGMENTATION DE LA DEMANDE
DOSSIER DÉPANNAGE ALIMENTAIRE : HAUSSE ET AIDE
DOSSIER, PAGE REPÈRE : LE PANIER D’ÉPICERIE SEMBLE SE STABILISER EN 2023