Dossier : Agression à caractère sexuel (article 1/2)
Vous avez subi une agression sexuelle, qu’elle soit récente ou qu’elle date déjà de plusieurs années? La vague de dénonciations faites à l’encontre de membres du vedettariat québécois au courant de l’été vous encourage à vouloir lever le voile sur cet épisode et à obtenir justice? Ce texte vous guidera relativement à ce qui vous attend.
Obtenir justice en portant plainte contre son agresseur: ABC du processus
1. Plainte aux policiers
La première étape est de déposer une plainte à la police. Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) La Bôme Gaspésie peut vous accompagner si vous ne souhaitez pas rencontrer seul(e) un membre de la brigade. Le corps policier peut également s’adapter à différents niveaux afin de mieux répondre à vos besoins, par exemple en vous rencontrant à votre domicile ou dans un lieu de votre choix. Un terrain neutre peut également être proposé, par exemple le palais de justice ou le bureau du CALACS. « Si la victime demande de rencontrer une policière, ce sera une policière. Les gens qui vont la rencontrer, ce sont la plupart du temps des spécialistes, des gens qui sont formés au niveau des agressions sexuelles », fait valoir le sergent Benoit Richard, chef d’équipe à la prévention pour la Sûreté du Québec (SQ).
Les policiers feront à ce moment les premières constatations, c’est-à-dire que le rapport sera entamé. On vérifiera que vous avez autour de vous des gens pour vous soutenir. Les autorités s’assureront aussi, si les événements sont récents et commandent des soins, de vous rediriger vers des professionnels de la santé. «Dans le cas d’une agression sexuelle où il y a eu pénétration ou des attouchements plus soutenus qui ont mené à des blessures physiques visibles, on va aussi demander qu’un médecin procède au prélèvement de la trousse médico-légale dans le but d’aller chercher une preuve supplémentaire », explique M. Richard, précisant qu’il peut, par exemple, s’agir d’ADN. Règle générale, il est commun qu’au moins une deuxième rencontre ait lieu avec les policiers; celle-ci peut d’ailleurs être filmée, afin d’éviter que vous ayez à témoigner à plusieurs reprises dans le cadre de l’enquête.
2. Enquête policière
En fonction de divers éléments, l’enquête policière peut durer plusieurs semaines, mais également des mois, voire des années; durant celle-ci, les enquêteurs chercheront à corroborer les faits que vous avez mis de l’avant. Afin d’appuyer vos dires, ils tenteront de récolter tous les éléments leur permettant de prouver hors de tout doute raisonnable que les gestes reprochés ont bien été commis. S’ils sont en mesure d’identifier votre agresseur, celui-ci sera rencontré. Celui-ci pourra, s’il le désire, effectuer une déclaration. « Souvent, les avocats vont dire à leur client de ne pas en faire, mais ils ont le droit d’en faire une. Ça peut arriver qu’on ait un aveu spontané […] », mentionne Benoit Richard. «On a beau faire une enquête, parfois, il peut arriver qu’on ne retrouve pas l’agresseur. Ça peut arriver, aussi, qu’il soit décédé », nuance-t-il néanmoins.
Aucun délai de prescription n’est en vigueur dans un cas d’agression sexuelle. Si les autorités policières n’obtiennent pas de quoi procéder dans votre dossier, par exemple si l’ADN décelé ne possède aucune concordance dans la banque de données génétiques utilisée par la SQ, cela ne signifie pas qu’aucun dénouement ne surviendra. « Si un jour cet ADN-là apparaît, le dossier va se réactiver automatiquement. Un dossier demeure actif tant qu’il n’est pas réglé », rappelle le sergent Richard.
3. Rencontre avec un procureur
Votre dossier sera ensuite acheminé au bureau des procureurs de votre district judiciaire; ceux-ci prendront alors connaissance de l’ensemble des documents et des preuves s’y retrouvant. Avant d’autoriser la judiciarisation de l’affaire, ceux-ci prendront le temps de vous rencontrer; on vous expliquera, entre autres, le processus qui suivra. «C’est une priorité qui découle notamment du contexte de #MoiAussi. Il y a eu une prise de conscience et c’est quelque chose que l’on fait spécifiquement avec les victimes d’actes sexuels », explique d’emblée la aux poursuites criminelles et pénales au bureau de New Carlisle du district de Bonaventure, Me Florence Frappier-Routhier. Celle-ci précise que ces cas sont empreints d’une grande charge émotive; ce ou ces rendez-vous auront ainsi lieu, au besoin, en présence de personnes en mesure de vous supporter, que l’on parle de policiers, d’un représentant du CALACS ou du Centre d’aide aux victimes d’acte criminel (CAVAC)
4. Autorisation de dénonciation, arrestation et comparution
Si la Direction des poursuites criminelles et pénales n’autorise pas la dénonciation, le dossier sera fermé. Si elle va de l’avant, des accusations formelles seront portées contre votre agresseur et celui-ci pourrait être arrêté; c’est lors de sa comparution en cour qu’on exposera les accusations. Ce qui est appelé le dossier de divulgation, c’est-à-dire les preuves détenues contre lui, lui sera remis afin qu’il puisse préparer sa défense avec son propre avocat. Il devra également, lors de sa comparution ou ultérieurement, inscrire son plaidoyer, c’est-à-dire plaider coupable ou non-coupable. S’il plaide coupable, sa peine sera divulguée immédiatement ou lors d’une autre séance; aucun procès n’aura donc lieu. S’il plaide non coupable, le processus menant à un procès s’enclenchera. Celui-ci pourrait se tenir devant un juge et jury en Cour supérieure ou devant un juge seul de la Cour du Québec.
Une audience de remise en liberté peut aussi avoir lieu, par exemple si l’accusé demeure détenu et que la poursuite ne veut pas qu’il soit libéré avant le procès et pendant celui-ci. La sécurité de la victime sera prise en compte par le juge au moment de rendre cette décision; des mesures sont d’ailleurs prévues à cet effet. «On peut émettre une ordonnance pour s’assurer que l’accusé ne puisse pas entrer en contact avec la victime pendant l’ensemble du processus si la victime a peur d’une récidive ou si elle craint la personne », précise Me Frappier-Routhier.
5. Enquête préliminaire (si applicable)
En vertu d’une disposition du projet de loi fédéral C-75, seules les infractions par voie d’acte criminel passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de 14 ans et plus font désormais l’objet d’une enquête préliminaire, c’est-à-dire une audience visant à déterminer s’il y a matière à poursuite. Celle-ci vise généralement à éviter qu’un procès soit entamé si les preuves sont insuffisantes; en pareil cas, les accusations pourraient être rejetées à cette étape.
L’enquête préliminaire est devenue de nos jours beaucoup moins fréquente pour des crimes de nature sexuelle puisque la peine maximale reliée à une agression sexuelle simple (voir l’encadré Trois degrés de gravité) est de dix ans. «Toutefois, si l’agression sexuelle est incluse avec une introduction par effraction dans une maison d’habitation, là, on pourrait avoir une enquête préliminaire parce que ce crime-là est passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans », nuance la procureure gaspésienne. Si une enquête préliminaire est tenue et que les preuves sont jugées suffisantes lors de cette étape, l’accusé sera cité à procès.
6. Procès
Dans le cas où votre version des faits et celle de votre agresseur seraient contradictoires, le juge devra déterminer si l’accusé est cru; sinon, il cherchera à vérifier si sa défense soulève un doute. Enfin, il devra statuer à savoir si la poursuite a, oui ou non, prouvé l’infraction alléguée, et ce, hors de tout doute raisonnable. «Ce n’est pas parce qu’on a un dossier avec des versions contradictoires que ce sera un échec. Ce n’est pas une fin de non-recevoir », fait valoir Me Frappier-Routhier, qui assure que les victimes sont traitées avec un grand respect par la cour.
Vous serez appelé(e) à témoigner contre votre agresseur au tribunal lors du procès; vous ne serez toutefois pas laissé(e) à vous-même, renchérit-elle: «On tente, nous les procureurs, d’alléger le fardeau des victimes. Notre travail, c’est de faire en sorte que leur histoire, avec tous ses détails, soit entendue. La victime est donc préparée et soutenue en vue de cette étape par le procureur, mais aussi par le CAVAC, un organisme clé». Il est également possible que l’avocat de l’accusé vous contre-interroge.
Précisons par ailleurs qu’une victime mineure racontera son histoire par télé-témoignage à partir d’une autre pièce du palais de justice. «Elle ne sera jamais en contact avec son agresseur », ajoute la juriste. Suivant certains paramètres, la cour peut également autoriser l’utilisation d’un paravent afin d’éviter un contact visuel entre vous et votre agresseur. Des dispositions sont aussi prises afin de garantir votre anonymat dans les médias, et ce, même si vous êtes majeur(e). «Les procureurs demandent d’office que le nom et tout renseignement qui pourrait mener à l’identification de la victime soient frappés d’un interdit de publication et ce, tout au long du processus », vulgarise Me Frappier-Routhier.
7. Verdict de culpabilité et sentence
Au terme du procès, le juge (ou le jury) rendra sa décision quant à la culpabilité de l’accusé. S’il est déclaré non-coupable, le processus judiciaire prendra fin. Si celui-ci est déclaré coupable, le magistrat devra alors se prononcer sur la peine d’incarcération de votre agresseur. Celle-ci sera la plupart du temps rendue dans le cadre d’une séance ultérieure afin qu’un rapport présentenciel puisse être préparé. Selon les cas, une évaluation sexologique peut aussi être effectuée. Ces documents guideront la décision du magistrat. Plusieurs mois peuvent s’écouler; des plaidoiries sur sentence auront lieu afin que la poursuite et la défense de l’accusé puissent débattre de la peine. Mentionnons que la victime peut également être entendue à ce stade des démarches, que ce soit en personne ou via une déclaration écrite.
«Advenant qu’il y ait une peine de détention fédérale, qui est de plus de deux ans, à ce moment-là, on ne peut pas émettre d’ordonnance de probation qui serait en vigueur après la sortie de l’accusé. Pour ce qui des autres peines, les juges vont avoir tendance à émettre des ordonnances de probation contenant des interdits de contact divers », résume Me Frappier-Routhier. Ceux-ci sont modulés en fonction du dossier; on peut parler, notamment, d’une interdiction de communiquer directement ou indirectement avec vous, d’être en votre présence physique, de vous harceler, de vous intimider ou même de faire référence à vous sur les médias sociaux.
Selon l’infraction commise, la procureure rappelle que votre agresseur pourrait aussi devoir s’enregistrer annuellement et lors de tout déménagement au registre des délinquants sexuels, un outil qui permet de savoir exactement où résident les gens qui ont commis des crimes de cette nature.
Selon le CALACS La Bôme Gaspésie, environ 10% des victimes d’agression à caractère sexuel porteront plainte aux autorités de façon formelle. Dans la grande majorité des cas, les victimes choisiront plutôt de se taire, composant avec la honte, la peur et un sentiment de culpabilité. Photo : Gilles Gagné