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8 juillet 2021 9 h 32

PÉNURIE DE LOGEMENTS : UNE ROCHE DANS LE SOULIER DE LA GASPÉSIE (texte 1/4)

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La pénurie de logements qui sévit en Gaspésie en est une sans précédent : résultat de plusieurs facteurs qui s’additionnent, elle est source de stress et d’embûches majeures pour de nombreux Gaspésiens et Gaspésiennes de tous âges, sans compter ceux désirant s’établir chez nous. GRAFFICI dresse ici le portrait d’une problématique qui atteint des proportions inégalées à un moment où la péninsule, elle, est une terre d’accueil de plus en plus convoitée.

Logements en Gaspésie : « On est dans le trouble. » – Ambroise Henry

CARLETON-SUR-MER | Nombreux sont ceux qui cherchent un logement, mais plus rares sont ceux qui trouvent. Il n’y a là aucun hasard, puisque l’une des pires pénuries de logements jamais répertoriées est en cours en Gaspésie, comme dans d’autres régions du Québec.

Citoyens éjectés en raison de la vente de la maison qu’ils occupent ou de sa location estivale à des fins touristiques, travailleurs saisonniers cherchant à se loger temporairement, nouveaux arrivants attirés en région par les possibilités reliées au télétravail, personnes âgées ayant vendu leur maison, couples en séparation : plusieurs se butent au manque, voire à l’absence d’options.

Le directeur général du Groupe ressource en logements collectifs Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine (GRLCGÎM), Ambroise Henry, l’admet d’emblée : alors que plus de 200 noms figurent sur la liste d’attente de l’organisation à son bureau de Carleton-sur-Mer seulement, le problème est loin de toucher exclusivement les logements dits sociaux ou collectifs. À la barre du GRLCGÎM depuis 2014, le gestionnaire observe que la conjoncture entre pénurie de main-d’oeuvre et pénurie de logements contribue à exacerber un problème perceptible depuis plusieurs années. Sans surprise, elle touche aussi le marché locatif dit régulier.

« On est dans le trouble! Il y a très peu ou pas de logements à louer. On n’a qu’à regarder l’évolution, depuis un an, de la situation sur les sites Facebook d’offres et de demandes de logements. On ne voit pratiquement que des demandes. Je suis convaincu que si demain matin quelqu’un a un logement à louer, ça fait la file », lance-t-il.


Le directeur général du Groupe ressource en logements collectifs Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine (GRLCGÎM), Ambroise Henry. Photo : Élise Fiola

 

Les personnes vulnérables le sont encore davantage

CARLETON-SUR-MER | Au plus fort la poche : voilà la règle qui prévaut dans de nombreux cas actuellement lorsqu’il est question de logement. Ce mot d’ordre peut, signalent de nombreux intervenants, mener à de la discrimination. Ce sont en effet ceux et celles aux coffres moins garnis ou aux profils moins recherchés qui sont les plus susceptibles de souffrir de la comparaison et de la surenchère.

Cette pénurie est bien loin de concerner que des locataires dits vulnérables, précise le directeur général du Groupe ressource en logements collectifs Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine (GRLCGÎM), Ambroise Henry : des professionnels aux finances enviables et des nouveaux arrivants bien nantis ne désirant pas immédiatement acheter une propriété se retrouvent aussi, par exemple, sur la ligne de départ de la course au loyer.

Ainsi, il y a fort à parier, note-t-il, que les plus vulnérables n’en sortent pas gagnants.

« On est rendus, dans les demandes de logements, à voir des gens qui offrent des récompenses pour s’en trouver un. Il y en a même qui sont prêts à payer six mois d’avance. Le propriétaire n’a pas le droit, légalement, de le demander, mais rien n’empêche quelqu’un d’arriver avec des sous pour prouver son sérieux », cite-t-il en exemple.

Trop chers… ou insalubres

La directrice du centre d’aide et d’hébergement l’Accalmie de Pointe-à-la-Croix, Dominique Bouchard, déplore que la situation actuelle tende en effet à rendre encore plus difficile la quête d’autonomie de certaines personnes désirant se reprendre en main après avoir éprouvé des difficultés, que l’on parle de problèmes de santé mentale, de dépendance, de deuil ou d’itinérance.

« Des fois, on a des groupes de sept personnes en hébergement et ce sont sept personnes qui n’ont aucun endroit où vivre. Comment on fait pour leur trouver un loyer, alors qu’il n’y en a pas? Soit c’est tellement cher qu’elles n’en ont pas les moyens, ou alors, c’est insalubre », déplore Mme Bouchard. Cette clientèle atterrit souvent « à la toute fin de la liste ou dans la filière 13 [à la poubelle] » et est rarement le premier choix des propriétaires, ajoute la gestionnaire.

La directrice du centre Émilie-Gamelin de Chandler, qui vient spécifiquement en aide aux personnes vivant avec des problèmes de santé mentale, tente de sensibiliser les propriétaires à la problématique. Johanne Bécu est allée, par le passé, jusqu’à se porter garante de locataires. Sans une telle intervention de sa part, il est fort possible que certaines personnes ne seraient pas parvenues à se trouver un lieu où vivre.

« C’est déjà difficile, présentement, de se trouver un logement en Gaspésie quand tu es en bonne santé, imagine quand tu as un problème de santé mentale », déplore Mme Bécu. La réalité régionale fait d’ailleurs souvent en sorte, renchérit-elle, que l’état de santé de ces personnes est connu au sein de leur milieu, ce qui peut peser dans la balance et mener à la discrimination.

Des « victimes » de la pénurie?

La directrice générale de la maison d’aide et d’hébergement L’Aid’Elle de Gaspé, en a, elle aussi, très long à dire. Selon Marie-Ève Joncas, la pénurie de logements peut tout simplement dissuader des femmes de quitter un conjoint violent par crainte de n’avoir nulle part où aller après avoir séjourné temporairement dans les installations de l’organisme.

D’autres femmes ne trouvant aucun lieu où se loger peuvent quant à elles être tentées, faute de trouver un endroit où se réfugier, de retourner sous un toit où leur sécurité est compromise. Elles étaient pourtant parvenues à quitter ce lieu, parfois après un long cheminement. « C’est d’une horreur indescriptible », admet sans détour Mme Joncas.

Au moment d’écrire ces lignes, 13 féminicides étaient à déplorer au Québec depuis le début de l’année 2021. La violence conjugale figure d’ailleurs parmi les problèmes exacerbés par la pandémie de COVID-19. Marie-Ève Joncas s’inquiète que des femmes meurent aux mains d’un conjoint violent en raison du manque de logements disponibles. « Si on extrapole, à la limite de la limite, oui, ça se peut », fait-elle valoir.

Cette dernière rappelle néanmoins que L’Aid’Elle fait tout en son pouvoir pour étirer les séjours des femmes dans ses installations ainsi que pour les aider à trouver un logis permanent où elles pourront se reconstruire et profiter d’un nouveau départ.


Marie-Ève Joncas, directrice générale de la maison d’aide et d’hébergement l’Aid’Elle de Gaspé, fait valoir que de graves conséquences humaines peuvent découler de la pénurie de logements. Photo : Nelson Sergerie

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