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15 novembre 2023 13 h 36

Des mots, des notes et des images : Les enfants de la rivière Nouvelle

NOUVELLE | Dans la famille de la documentariste native de la Baie-des-Chaleurs Louise Lavoie, neuf membres, dont son frère, ont été adoptés par les siens depuis les années 1940. Dans son premier long-métrage Les enfants de la rivière Nouvelle, la cinéaste décide de raconter leur histoire à l’aide d’images d’archives tout en dressant un portrait de l’adoption au Québec.

Pendant huit ans, elle plonge dans son arbre généalogique afin de recueillir les témoignages de ses proches. Ce n’est que pendant l’été 2023, lors du dernier festival international de cinéma Les Percéides, que Louise Lavoie révèle au public, en grande première mondiale, un film intimiste, touchant et lumineux, chaudement accueilli par le public.

« Mais pourquoi donc autant d’enfants ont été adoptés dans ma famille? Se sont-ils inventés une histoire pour comprendre pourquoi ils ont été confiés en adoption? », se demande d’emblée la cinéaste d’origine gaspésienne. Il s’agit de questions délicates et épineuses pour ceux et celles qui ont été adoptés, admet-elle, mais néanmoins à sa grande surprise, tout le monde a accepté de témoigner devant la caméra.

« Au bout du compte, j’ai senti qu’ils exprimaient un grand soulagement de pouvoir enfin parler d’adoption et qu’on s’y intéresse bien que ce ne soit pas un sujet dont on discute lors des soupers de famille », observe la documentariste, ravie de voir sa famille se confier avec générosité et vulnérabilité.

Ainsi au fil des histoires d’adoption racontées à l’écran, dont celle de ses deux petits-cousins jumeaux nés en Roumanie, on constate assez rapidement que l’adoption reste un sujet universel. Parce que oui, on voyage dans Les enfants de la rivière Nouvelle aussi grâce aux histoires des enfants adoptés en Haïti (dans le cas de Cassandre, la plus jeune née en 2002) et en Chine notamment, bien que le point d’ancrage du film soit représenté par le village de Nouvelle, le lieu de naissance des aïeuls.

C’est dans cette communauté, près de la rivière, que l’on découvre l’histoire des neuf enfants adoptés de sa famille : son frère, sa nièce, un cousin, deux cousines, deux petits-cousins et deux petites-cousines. « Une rivière bordée d’arbres, dont les racines se touchent, s’entremêlent dans la même terre, dans le même terroir, comme celles des enfants. Ces arbres, la rivière et le village qui font de ces enfants : Les enfants de la rivière Nouvelle », résume avec poésie la réalisatrice.


Cinéaste indépendante, Louise Lavoie cherche, grâce au cinéma et à l’action sociale, à donner la parole à ceux et celles qui échappent souvent aux regards. Photo : Pierre Rochette

Raconter l’adoption d’un point de vue historique et féministe

« Avec ces histoires d’adoption qui se suivent dans le film, on y suit nécessairement l’évolution de la condition féminine au Québec », affirme Louise Lavoie qui mentionne que son oeuvre se veut résolument féministe. En effet, au-delà du thème de l’adoption, le film parvient à rejoindre une dimension politique et sociale maîtrisée, fruit d’un travail de recherche de la part de la réalisatrice pendant deux ans, avant de débuter le tournage, afin de dévoiler le contexte dans lequel ces enfants ont vu le jour et qui explique leur mise en adoption.

À titre d’exemple, nous y apprenons davantage, à notre grand désarroi, sur le fameux cas des « filles-mères », c’est-à-dire ces femmes qui accouchaient sans être mariées, un phénomène bien présent au Québec pendant la période du gouvernement de Maurice Duplessis dans les années 1940 et 1950.

« Un sentiment de culpabilité les accaparait, alors elles se forçaient à confier leur enfant en adoption. C’est pourquoi les adoptions étaient monnaie courante ces années-là, soit 3000 à 4000 par an », raconte la réalisatrice avec émotion. « On les cachait ces femmes-là, alors il n’y a, même à ce jour, très peu de documentation et d’histoire à leur égard. C’est en parlant avec elles qu’on réalise que cette époque a été très difficile », poursuit-elle.

Un passage fort émouvant illustre par ailleurs cette triste réalité. Lucille, aujourd’hui âgée de 75 ans, l’aînée des personnes adoptées et la cousine de la réalisatrice, lit un extrait d’un ouvrage du nom de La prière de l’indigne qu’on faisait lire aux adolescentes à cette période pour les faire sentir honteuses si elles concevaient un enfant hors des voies du mariage. « On faisait lire ça aux jeunes filles enceintes, seules dans leur chambre, dans l’unique objectif de les ostraciser et de les isoler. Ça donne des frissons », se désole la documentariste dans la soixantaine.

Pendant la révolution tranquille dans les années 1960, les mises en adoption dans la province ralentissent grandement avec l’arrivée de la pilule contraceptive.

« On passe d’un moment où les crèches sont pleines, puis tout d’un coup, presque plus d’enfants. Et là, ce qui est intéressant dans ma famille, c’est qu’il n’y a tellement plus personne à adopter, qu’elle se tourne vers les communautés autochtones et même à l’international », explique Louise Lavoie. C’est pourquoi dans les années 1980, sa soeur adopte une jeune autochtone de six ans alors prise en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Il y a eu 300 000 enfants confiés à l’adoption dans l’histoire du Québec, révèle Louise Lavoie, dont 100 000 qui n’ont jamais été adoptés. Et encore aujourd’hui, la province compte plus de 20 000 personnes adoptées à l’international, renchérit-elle.

Un film qui a grandement résonné avec le public en Gaspésie

Après une première mondiale devant une salle comble lors des Percéides, le film a entamé une belle tournée en Gaspésie. Le film a débuté son voyage à Nouvelle pour ensuite faire le tour de la péninsule jusqu’à Rimouski. À Gaspé, la projection s’est même déroulée avec la Table de concertation des groupes de femmes de la Gaspésie, ce qui a valorisé le côté féministe de l’oeuvre, au plus grand bonheur de la cinéaste. Maintenant, elle essaie de le projeter partout au Québec.

Pour un film presque entièrement autofinancé et réalisé pendant huit éreintantes années, on peut dire mission accomplie pour Louise Lavoie qui en est à son premier long-métrage. « En plus, les spectateurs se sont montrés tellement généreux dans leurs témoignages à la suite des projections. C’est fantastique, c’est là que mon film prend tout son sens et que j’éprouve le véritable plaisir du cinéma », s’exclame souriante, celle qui caresse aujourd’hui le rêve de publier un projet de fiction avec sa fille.

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