• mardi 19 novembre 2024 19 h 42

  • Météo

    7°C

  • Marées

Actualités

Économie
30 mars 2023 13 h 52

DOSSIER SÉBASTE 1/5 : SCIENCE

GASPÉ | Il y a maintenant sept ou huit ans que les biologistes du ministère fédéral des Pêches et Océans Canada savent que le stock de sébaste se rétablira éventuellement, après au moins un quart de siècle d’inquiétude. Depuis 2018, les spéculations vont bon train quant à une reprise de la pêche de cette espèce de poisson de fond, sous moratoire depuis 1995. Ces spéculations restent des spéculations depuis cinq ans. GRAFFICI regarde ici, à travers quelques textes, comment l’avenir du sébaste pourrait s’articuler au cours des prochaines années. Qui est intéressé à le pêcher, à le transformer et à le mettre en marché, et comment il pourrait revenir sur nos tables plus souvent sont autant de questions auxquelles nous tentons de répondre.

Le sébaste, roi et maître du Saint-Laurent

Longtemps moribond, ayant même frôlé le statut d’espèce en péril au Canada en 2010, le sébaste pullule aujourd’hui dans le Saint- Laurent. Selon les plus récentes mises à jour scientifiques, il représente pas moins de 82 % de toute la biomasse du golfe.

Et pourtant, le moratoire décrété en 1995 persiste toujours et ce poisson dont la peau varie du rouge à l’orangé ne se retrouve à peu près plus dans les assiettes du Québec. Ce n’est cependant plus qu’une question de temps avant que les captures commerciales ne reprennent, comme le rappelait récemment la ministre fédérale des Pêches et Océans Canada, Joyce Murray, lors d’un passage dans la région au début du mois de mars. « Une date devrait être annoncée dans les mois à venir », lançait-elle en direct du Musée de la Gaspésie.

Le feu vert pourrait donc être donné dans un avenir rapproché. Dans l’intervalle, voici un portrait de la situation.

L’état de la ressource

Tout d’abord, quelques précisions. Si la plupart du temps il est question du sébaste en général, pour être rigoureusement exact, deux espèces se côtoient dans le Saint-Laurent : le sébaste atlantique (Sebastes mentella) et le sébaste acadien (Sebastes fasciatus), qui ont des habitats et des patrons de reproduction différents. Ils sont pratiquement semblables morphologiquement et très difficiles à différencier à l’oeil nu pour les non-initiés.

On retrouve aujourd’hui environ 2,8 millions de tonnes de sébaste atlantique, du jamais-vu depuis le début des relevés de cette espèce en 1984. Le sébaste acadien n’effectue pas, quant à lui, un retour en si grande force, avec environ 420 000 tonnes.

À deux, ils représentent 82 % de la biomasse dans l’unité 1 – l’ensemble du Saint-Laurent jusqu’à l’ouest de Terre-Neuve – selon les relevés scientifiques de Pêches et Océans Canada (ce qui exclut cependant les espèces côtières comme le homard). Cette même biomasse des sébastes était de 15 % entre 1995 et 2012.

En comparaison, les débarquements annuels combinés pour les deux stocks sont passés de plus de 100 000 tonnes dans les années 1970 à moins de 12 000 tonnes en 1995, année du moratoire (voir l’historique du sébaste en page 20).

« Le sébaste a suivi à peu près la même tendance que la morue, c’est-à-dire une baisse très importante de ses stocks suite à une surexploitation marquée dans une période froide où le climat était défavorable aux poissons de fond », explique Dominique Robert, professeur à l’Université du Québec à Rimouski et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie halieutique. « Au début des années 90, plusieurs stocks du nord-ouest de l’Atlantique se sont soit effondrés ou ont fortement diminué. On a tous en tête la morue, mais c’était aussi vrai avec le sébaste ou encore la plie canadienne. »

Mais alors, que s’est-il donc passé exactement pour qu’une espèce qui était sur l’écran radar du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada devienne aussi dominante? D’emblée, les jeunes sébastes des cohortes de 2011 à 2013 ont vraisemblablement profité de conditions très favorables à leur développement. Sans entrer dans les détails trop pointus, les hypothèses tendent à démontrer que des conditions climatiques et une phénologie (des phénomènes périodiques dans le monde animal et végétal) plus qu’enviables pour les larves en seraient la cause.

« On a eu un événement de recrutement comme on en voit rarement dans le monde de l’écologie halieutique. On a pigé le bon billet de loterie. On n’avait absolument aucune façon de prédire que ça allait se produire. C’est vraiment une surprise », ajoute Dominique Robert en entrevue avec GRAFFICI, en direct du Japon d’où il termine une année sabbatique.


Zone de gestion des stocks des sébastes des unités 1 et 2. Photo : Pêches et Océans Canada

Ne pas répéter les erreurs du passé

La plupart des experts s’entendent pour une réouverture de la pêche commerciale au sébaste, mais avec une certaine prudence. « Les sciences disent qu’il n’y a aucun problème à en pêcher plus. Pour que ce soit durable, on pourrait sortir de l’eau à peu près 20 000 tonnes par année, incluant les deux unités et les deux espèces », explique Caroline Senay, biologiste en évaluation de stocks à l’Institut Maurice- Lamontagne, spécialisée dans le sébaste.

Cette dernière travaille notamment à fournir des recommandations à Pêches et Océans Canada pour les stocks du golfe Saint-Laurent en lui remettant des avis scientifiques. Un comité de gestion indépendant émet aussi des recommandations à la ministre des Pêches et Océans Canada, Joyce Murray, qui tranche ultimement.

« La pêche au sébaste fait vraiment des vagues. Tristement, on a rarement fait une belle pêche pendant plus de 10 ans. C’est un peu pour ça que les chiffres qu’on suggère maintenant sont plus bas que ce qu’on a sorti dans le passé, pour ne pas refaire les mêmes erreurs et pêcher à des niveaux qui semblent avoir été trop élevés. Je me mets dans la peau d’un pêcheur et je ne voudrais pas investir pour seulement quelques années », ajoute la biologiste.

Cette ligne de pensée est aussi partagée par Dominique Robert, qui reprend pratiquement mot pour mot ceux de sa collègue scientifique. « On veut éviter de faire les erreurs du passé. On a un stock basé sur deux ou trois cohortes [de sébaste], qui ne sont pas très gros », ajoute le professeur qui est également codirecteur de l’Institut France-Québec maritime.

La taille des sébastes est d’ailleurs un facteur mis de l’avant par l’ensemble de l’industrie, autant les pêcheurs, les transformateurs que les scientifiques. La plupart d’entre eux s’entendent pour reconnaître que le sébaste, s’il est présent en grande quantité, n’est pas très gros.

La taille réglementaire pour une pêche commerciale est de 22 centimètres. Entre 85 % et 93 % des sébastes atteignent cette taille actuellement, mais guère plus. La taille commune tourne autour de 24 centimètres. « On savait que leur croissance était lente, mais elle semble encore plus lente que ce à quoi on s’attendait », précise Caroline Senay.

Selon les calculs de développement des sébastes nés vers 1980, soit la dernière plus grande cohorte avant celle de 2011, les sébastes de la cuvée 2011 devraient plutôt mesurer actuellement autour de 26 centimètres. « La densité est tellement élevée qu’il n’y peut-être pas assez de bouffe pour que tout le monde grandisse à son plein potentiel », analyse-t-elle. La maturité sexuelle arrive aussi plus tôt, autour de 16 ou 17 centimètres comparativement à 22 ou 24 centimètres auparavant. « À la lumière de nos données de reproduction, ce sont des poissons matures, mais une maman de 24 centimètres fait vraiment moins de bébés qu’une de 34 ou 44 centimètres. Mais au niveau de la biomasse, pas de problème d’en pêcher une certaine fraction », ajoute Caroline Senay.

« Chez les poissons, lorsqu’on atteint une densité trop forte, il y a deux choses, précise Dominique Robert. Le cannibalisme – et à peu près tous les poissons marins le sont au besoin – ce qu’on observe présentement dans la cohorte de 2011. Aussi, comme ils sont proches en taille, ils sont en compétition directe pour les mêmes proies. On observe alors une croissance réduite par manque de ressources. Lors de la dernière évaluation de stocks, on a dû réviser les trajectoires de croissance. »

Ce dernier estime que la taille maximale des présentes cohortes de sébastes du Saint-Laurent pourrait être au plus de 30 centimètres. « C’est typique d’un stock en forte compétition. La maturité a été atteinte plus tôt, ce qui pose toutes sortes d’enjeux avec une croissance lente qui ne permet pas d’accéder aux marchés traditionnellement importants ou payants pour les débarquer. C’est un sacré problème de forte biomasse versus comment la rentabiliser. L’an prochain, il aura peut-être gagné un demi-centimètre. Alors ça ne change pas grand-chose. Il faudra recommencer la pêche commerciale un jour et à mon avis, il est temps si on veut développer de nouveaux marchés et bien les valoriser dans le futur. »


Des sébastes sont élevés en bassin à l’Institut Maurice-Lamontagne afin d’en apprendre davantage sur l’espèce. Photo : Pêches et Océans Canada

Sébaste versus crevette

Si les jeunes sébastes mangent essentiellement du zooplancton en bas âge et ce, jusqu’à l’obtention d’une taille entre 15 et 20 centimètres, leur régime alimentaire change drastiquement ensuite. Vers 25 centimètres, leur goût pour la crevette – dont la crevette nordique pêchée par les crevettiers gaspésiens – augmente en flèche. Le déclin du crustacé pourrait donc être exacerbé. Vers 30 centimètres, d’autres poissons sont ingérés – dont le sébaste par cannibalisme – mais leur appétit pour la crevette ne diminue pas pour autant.

« On ne peut cependant pas dire présentement combien de crevettes un sébaste a besoin de manger dans une année pour ses fonctions vitales. Mais des expériences sont en cours. Si on a 2,8 millions de tonnes de sébaste, on pourra s’attendre à voir combien de crevettes ingérées? C’est une bonne question. Chose certaine, c’est l’une de ses proies préférées », confirme Dominique Robert.

Selon les données historiques de contenu stomacal des sébastes dans les années 1990 et en 2010, la proportion de crevettes dans son alimentation n’a pas changé. « Les années 90 étaient l’âge d’or de la crevette alors que 2010 c’était la décroissance. Peu importe, il mange de la crevette indépendamment de son abondance. Notre hypothèse c’est qu’ils en mangent beaucoup, et que ç’a un impact qui est là », ajoute-t-il.

Pas suffisamment cependant pour imputer la décroissance de la crevette uniquement au sébaste. « Quand on regarde la biomasse de la crevette, elle a commencé à décliner au milieu des années 2000, mais le sébaste n’était pas encore revenu. On sait qu’il en mange en quantité non négligeable, et à la quantité qu’il y a dans l’eau, on ne serait pas surpris qu’ils mangent plus de crevettes que ce que les pêcheurs capturent. On a aucun problème avec ça, mais on ne peut leur imputer toute la diminution », précise Caroline Senay.

Dans tous les cas, en se référant à la dernière évaluation des stocks, les scientifiques recommandent une réouverture de la pêche commerciale au sébaste. « Les perspectives à court terme pour les stocks de sébaste des unités 1 et 2 [au sud de Terre-Neuve] sont généralement positives. La biomasse élevée de Sebastes mentalla permet d’augmenter les récoltes, tandis que la prudence est de mise pour Sebastes fasciatus et les espèces de prises accessoires », indique-t-on dans le rapport de 2021.

 

Pour lire tout le dossier du sébaste :

DOSSIER SÉBASTE 2/5 : PÊCHEURS
DOSSIER SÉBASTE 3/5 : TRANSFORMATION
DOSSIER SÉBASTE 4/5 : COMMERCIALISATION
DOSSIER SÉBASTE 5/5 : PAGE REPÈRE