S’élever dans la pandémie (texte 2/3)
Si nul ne peut douter des conséquences néfastes qu’a eues la pandémie dans le quotidien de nombreux Gaspésiens et Gaspésiennes, certains d’entre eux ont, au contraire, profité de cette période inédite et exceptionnelle. Qu’ils aient mené à bien de nouveaux projets, apporté des améliorations dans leur entreprise ou opéré des changements dans leur vie personnelle, GRAFFICI vous présente une série de textes portant sur ces citoyens et entrepreneurs qui sont, contre vents et marées, parvenus à faire de la limonade avec les citrons de la COVID-19.
Développer pour contrer la COVID-19
PERCÉ | «Transformer le citron pourri de la COVID-19 en limonade sucrée.» Voilà comment Jean-François Tapp, propriétaire avec sa conjointe Pascale Deschamps du Camp de Base Coin-du-Banc, à Percé, illustre les derniers mois. Les entrepreneurs ont su brillamment tirer leur épingle du jeu, notamment en développant, au plus fort de l’achalandage estival, de nouveaux services. Les yeux rivés sur l’automne, ils prévoient désormais courtiser une toute nouvelle clientèle : celle qui œuvre en télétravail.
Depuis l’été 2018, le couple ouvre les portes de la légendaire auberge en offrant « couette, fourchette et aventure » aux touristes de passage. En effet, une programmation d’activités de plein air s’ajoute à la restauration et à l’hébergement. Si leur plan de match estival n’était pas encore au point lorsqu’il s’est finalement avéré évident qu’une saison touristique aurait lieu en dépit du contexte sanitaire, le duo n’a fait ni une ni deux en adaptant les lieux et la programmation.
Quand Percé et les environs ont été littéralement submergés par une vague de touristes jusque-là sans précédent, les aubergistes ont saisi l’opportunité de mettre en branle des projets qu’ils caressaient déjà. Un camping offrant de l’intimité et pouvant accueillir douze tentes, fourgonnettes ou Wesfalia chaque soir a ainsi été aménagé dès la mi-juillet. «On a réalisé ça en trois heures, un matin. On s’est levés, on n’avait pas de camping et rendu à midi, on en avait un qui était plein pour trois semaines», relate M. Tapp en s’esclaffant. Un dortoir de huit lits, destiné jusqu’à nouvel ordre à un groupe ou une grande famille voyageant ensemble, a aussi été aménagé au sous-sol. «On accueille beaucoup de gens qui voyagent en moto ou en vélo. Beaucoup d’entre eux n’ont besoin que d’un lit pour dormir et ne
recherchent pas nécessairement une expérience d’hébergement», explique l’entrepreneur.
Miser sur les télétravailleurs
L’automne 2020 aura aussi sa part de nouveautés au camp de base. Alors que cette saison est généralement dévolue à une clientèle corporative, notamment avec la tenue, sur place, de réunions stratégiques ou de lacs-à-l’épaule, il sera ardu pour l’entreprise de compter sur cet achalandage usuel cette année. L’idée d’offrir des forfaits pour un séjour alliant boulot et plein air aux télétravailleurs de partout en province s’est ainsi imposée.
«Le package deal, en fait, c’est de pouvoir travailler au paradis. C’est vivre la vie que l’on vit, nous. On offre l’hébergement, la restauration gaspésienne simple et efficace et le terrain de jeu pour jouer en dehors des heures de clavier», résume M. Tapp. Cette clientèle spécifique, qui a pris des proportions exceptionnelles avec la pandémie, constitue selon lui un «marché à créer». Ces travailleurs auront ainsi accès à tout le nécessaire pour pouvoir poursuivre leurs activités professionnelles à deux pas de la plage et de la nature. « Si notre réseau Internet a tenu le coup cet été, il va tenir le coup cet automne », conclut le copropriétaire en riant.
Un été profitable… malgré tout
L’été 2020, sur le point de se conclure au moment d’écrire ces lignes, aura contre toute attente été plus qu’intéressant pour les affaires, confirme Jean-François Tapp, qui s’attendait à un taux d’occupation entre 40 et 60%. «Finalement, ça a été un taux de 175% d’occupation et on a embauché, en plus de moi, deux guides à temps plein pour les activités. Ça a été complètement sauté, l’été de toutes les croissances!»
En entrevue avec GRAFFICI, celui-ci se dit fier que son entreprise, comme plusieurs autres, soit parvenue à faire preuve de créativité. Sachant qu’une deuxième vague ou qu’une contamination locale pouvait tout faire basculer du jour au lendemain, il précise avoir grandement apprécié chaque journée durant laquelle le site a accueilli ses clients estivaux.
Jean-François Tapp et sa conjointe, Pascale Deschamps.
Photo : fournie par Jean-François Tapp
Construire sa maison… en pleine pandémie
CARLETON-SUR-MER | Ils s’apprêtaient à lancer tout un projet lorsque la pandémie a éclaté: Zaolie Tessier et son conjoint Dali Leclair étaient fins prêts à démolir leur résidence pour en construire une toute nouvelle, plus spacieuse, sur leur terrain de Saint-Louis-de-Gonzague, dans l’arrière-pays de Carleton-sur-Mer. En pleine incertitude, ils ont choisi, envers et contre tous, de ne pas laisser la COVID-19 ruiner leurs ambitions.
La famille, qui compte deux enfants, Oli, huit ans, et Lily, presque quatre ans, était à l’étroit dans sa petite chaumière. Il faut dire que les installations, qui devaient d’abord être temporaires, sont en quelque sorte devenues permanentes avec le temps. «Ça faisait cinq ans qu’on dormait, Zaolie et moi, sur le divan-lit avec le frigo et le lave-vaisselle qui nous chantent des chansons pour s’endormir», illustre M. Leclair avant de s’esclaffer.
Si les aléas de la vie et d’autres priorités ont contribué à retarder les travaux, ceux-ci se sont avérés urgents lorsqu’un dégât d’eau est survenu. Quand la pandémie se pointe le bout du nez, ils font face à un réel dilemme. «On n’avait pas simplement pris quelques petites affaires pour s’installer ailleurs, on avait vraiment vidé les lieux. Il n’y avait plus rien sur place », se remémore Mme Tessier, artiste en arts textiles et agente d’accueil au Carrefour jeunesse-emploi Avignon-Bonaventure. «On ne pouvait pas reculer tant que ça», renchérit son conjoint, qui œuvre quant à lui comme employé municipal pour la Ville de Carleton-sur-Mer.
En dépit d’un contexte bien loin d’être idéal, ils persistent et signent; il faut dire qu’ils ont déjà en main, à ce moment, le financement qui leur permettra de mettre en branle le chantier de quelque 50 000$ et que les matériaux nécessaires à la concrétisation de leur rêve les attendent dans la cour de la quincaillerie. «On s’est demandé comment ça allait tourner, toute cette histoire-là de pandémie. Au début, ça faisait pas mal peur », se souvient l’homme originaire de Caplan.
Dali, qui a œuvré pendant 19 ans pour le compte des Industries Leblanc, à Carleton-sur-Mer, est chargé de construire lui-même la nouvelle résidence, tandis que toute la famille est installée dans une maison louée. Or, le retour imprévu en région de la propriétaire des lieux les forcera à mettre le cap sur un deuxième repère temporaire. Ce second déménagement en très peu de temps contribue à miner le moral des troupes, admet la maman de 40 ans: «Je voyais tout le monde confiné dans leur maison, dans leurs affaires. J’avais l’impression que ça faisait une différence pour eux d’être chez eux, que ça devait leur donner une certaine sécurité.»
Le projet suit néanmoins son cours: alors que la maman veille à dispenser l’école à la maison tout en faisant du télétravail, le papa, lui, se concentre sur sa mission. Il le fait d’abord à mi-temps, question de pouvoir prendre le relais avec les enfants. Lorsque l’école et le service de garde reprennent du service, il met les bouchées doubles pour faire avancer le projet. «On était vraiment dans notre bulle. Nous, on avait un projet à faire. On se disait pour s’encourager que lorsque la pandémie finirait, on aurait une maison», explique Zaolie Tessier, originaire de Chibougamau.
La déconstruction de la grande majorité des infrastructures, qui durera au total deux mois, débute dès le début avril. S’ensuivent les travaux de construction. Lorsque GRAFFICI se rend sur le chantier, vers la fin août, la structure est
déjà fermée et divisée; l’électricité ainsi que la plomberie constituent les prochaines étapes à franchir.
La concrétisation d’un projet aussi majeur, qui plus est dans un contexte de crise sanitaire, aura comporté son lot de difficultés, en plus d’engendrer une dose considérable de stress. Si le couple des 13 dernières années a douté, en cours de route, d’avoir pris la bonne décision en donnant le feu vert à l’initiative, il se dit, au final, heureux d’être allé de l’avant. «Le point positif, c’est qu’on n’avait pas le choix d’être focus. […] On ne pouvait pas voir nos amis ni aller nulle part. Tout était arrêté », fait valoir Mme Tessier. «Je suis content de l’avoir fait. C’est sûr que ça va rendre notre vie pas mal plus facile», ajoute son conjoint, tout sourire…malgré la fatigue
Les Leclair-Tessier, réunis devant leur future maison. Ils espèrent y déménager dès le début octobre et achever la finition des lieux au courant de l’année 2021.
Photo : Roxanne Langlois