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13 septembre 2023 13 h 37

Des mots, des notes et des images – Yvan Landry

L’histoire méconnue d’un naufrage dans l’anse de Cap-Chat

Le naufrage du navire Premier par Yvan Landry

GASPÉ | Dans l’imaginaire collectif, un naufrage renvoie habituellement à des notions de victimes et de survivants, de grandes tragédies et d’embarcations éventrées coulant à pic par le fond par soir de tempête. Le cas du navire Premier est un peu différent et il fait partie d’une autre catégorie.

L’accident s’est produit dans la nuit du 3 au 4 novembre 1843 dans l’anse de Cap-Chat, sur un haut-fond de sable à environ deux kilomètres du rivage. Certes en pleine tempête de neige avec des vents violents, mais contrairement à plusieurs autres histoires, les quelques 350 passagers et membres d’équipage ont survécu. Aucune victime. Niet. Nada. L’opération de secours s’est même plutôt bien déroulée. Comme troupes militaires du gouvernement britannique, les passagers du Premier n’ont pas paniqué et ont plutôt bien suivi la chaîne de commandement; une mésaventure exemplaire s’il en est une. Pourquoi en parler alors?

Tout d’abord, parce que les récits de naufrage documentés qui remontent à près de 180 ans sont plutôt rares. Moins de deux ans après l’événement, le médecin militaire George Russell Dartnell en faisait le récit dans un ouvrage poétiquement et sobrement intitulé A Brief Narrative of the Shipwreck of the Transport « Premier », Near the Mouth of the River St. Lawrence, on the 4th Novembre 1843, Having on Board the Head-Quarter Wing of the Second Battalion of the First or Royal Regiment, Processing from North America to the West Indies.

Précurseur des campagnes de sociofinancement, Dartnell avait sollicité l’aide de près de 300 contributeurs pour coucher sur papier les événements entourant cette sombre soirée d’automne et les jours qui suivirent. Un seul tirage avait été publié à l’époque.

Mis au parfum de cet obscur ouvrage par un archiviste du Musée de la Gaspésie alors qu’il était membre de son conseil d’administration, Yvan Landry s’était plus tard plongé dans cet univers en 2015 pour le Magazine Gaspésie dans la forme d’une conversation fictive avec son défunt homologue écrivain, pour un dossier sur les naufrages dans la région.

« J’avais vaguement entendu cette histoire dans mon patelin, explique celui qui habitait tout juste en face du lieu du naufrage lorsqu’il résidait à Cap-Chat. Mais ça fait quand même neuf générations. Les choses ont le temps de se perdre ou de se transformer en légendes. »

Celui qui demeure aujourd’hui à Gaspé avait cependant le goût d’aller plus loin et d’offrir la version complète de l’histoire. Jusqu’ici, le récit n’avait été relaté que dans la langue de Shakespeare. C’était avant qu’Yvan Landry ne s’affaire à la tâche et n’offre une traduction commentée et enrichie de l’oeuvre originale, sous le titre Le naufrage du navire Premier. L’ouvrage a été lancé le 15 juillet dernier. Plusieurs annotations et de nombreuses annexes permettent de remettre l’histoire en contexte et d’ainsi mieux comprendre l’oeuvre originale.

Dans ses mémoires intitulées Early Reminiscenses, le lieutenant Sir Daniel Lysons, qui était lui-même passager sur le Premier, a aussi fait état du naufrage en quelques chapitres, reproduits dans l’ouvrage d’Yvan Landry. Les opérations de sauvetage sont plus amplement détaillées ainsi que la longue marche pour alerter les autorités britanniques, qui étaient basées à Québec.


L’auteur Yvan Landry lors du lancement de son ouvrage le 15 juillet dernier. Photo : Offerte par Yvan Landry

Patriotes et Anglais

Dans le Cap-Chat de l’époque, seule une centaine de personnes forment le village, dans des maisons assez rudimentaires. L’arrivée de 350 naufragés à l’aube de l’hiver complique la donne. « Les bâtiments de Cap-Chatte offraient un logement assez misérable et insuffisant », écrira Dartnell sans trop de considération pour ceux qui l’hébergent. Il attribuera d’ailleurs davantage la survie des troupes anglaises à « une miséricordieuse et presque miraculeuse protection » qu’à l’aide reçue par les Gaspésiens.

Ce n’est toutefois pas surprenant. Certains passagers du Premier – membres du Régiment Royal – sont des militaires qui ont combattu les patriotes du Bas-Canada dans les épisodes bien connus de 1837 et 1838, à Saint-Denis, Saint-Charles, Montréal, Saint-Eustache et Saint-Benoît. Parmi les naufragés, sont recensés les officiers Gore et Wetherall qui ont incendié maisons et églises.

« Ils ne devaient pas s’avoir en haute estime, mais les gens se sont mobilisés et ont réussi à les sauver. Ce qui est un peu triste, c’est qu’on fait grand état des secours des bonzes de l’armée britannique, mais pas un mot sur les pauvres gens de la Gaspésie », analyse Yvan Landry.

Au-delà du devoir de mémoire et de défricher cette histoire méconnue, cette traduction améliorée permet par ailleurs de se plonger dans un pan de la vie quotidienne au XIXe siècle. « Ça donne aussi l’importance de l’activité maritime sur le Saint-Laurent à une certaine époque, ajoute Yvan Landry. Et de l’aspect problématique de l’absence de phare, même si dans ce cas, ça n’aurait probablement rien changé. » À noter en terminant que les illustrations qui composent tant l’édition originale anglophone que la traduction francophone sont signées par Dartnell lui-même, un aquarelliste relativement réputé à son époque et dont les oeuvres ont été exposées. Lysons a aussi agrémenté son texte de deux aquarelles, qui sont également
reproduites.

Le naufrage du navire Premier est notamment disponible à la librairie Alpha de Gaspé.

Pour lire le dossier complet :
DES MOTS, DES NOTES ET DES IMAGES – Pour un féminisme à jour
DES MOTS, DES NOTES ET DES IMAGES – FRANÇOIS MIVILLE-DESCHÊNES
DES MOTS, DES NOTES ET DES IMAGES – FRANÇOIS-ALEXANDRE BOURBEAU
DES MOTS, DES NOTES ET DES IMAGES – ANDRÉ LEMIEUX
DES MOTS, DES NOTES ET DES IMAGES – JOANNE MORENCY