Dossier partie 1/5 – Incursion au coeur de la relève entrepreneuriale gaspésienne
Seulement 38,8 % des propriétaires qui comptent vendre ou céder un jour leur entreprise sont préparés avec un plan de relève en bonne et due forme, selon le plus récent Indice entrepreneurial québécois dévoilé en mai par le Réseau Mentorat. Dit autrement, moins de deux entrepreneurs sur cinq sont prêts. L’équipe de GRAFFICI s’est intéressée à la question et est allée sur le terrain à la rencontre de ceux qui s’engagent de près ou de loin dans le repreneuriat.
GASPÉ – Le Réseau Mentorat ne se met pas la tête dans le sable. L’organisation qui a été mise sur pied en 2000 parle « d’un manque flagrant de préparation » de la part des propriétaires de PME qui veulent transférer leur entreprise. Par exemple, plus de la moitié (55,6 %) d’entre elles et d’entre eux ne connaissent pas leur valeur marchande.
Avec le Québec qui connaît une vague de départs à la retraite, la tempête est presque parfaite dans la région avec le fort taux de vieillissement de sa population. En Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, l’âge médian en 2022 était de 54 ans. Celui-ci a augmenté sans interruption à chaque année depuis 1996, comme le montrent les données de l’Institut de la statistique du Québec. L’âge médian était, en comparaison, de 37,4 ans en 1996. Si la population en général vieillit, les entrepreneurs aussi.
« L’explication est assez facile. La pénurie de main-d’oeuvre s’explique avec le taux de remplacement de la pyramide des âges, affirme le directeur général de la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) de Gaspé, Dave Lavoie. Présentement en Gaspésie, pour 10 personnes qui partent à la retraite, seulement quatre peuvent prendre leur place, contrairement à six ailleurs au Québec. Et ce sera encore vrai pour un bout. C’est la même chose pour les entreprises. Il y a moins de gens disposés à prendre la relève des entreprises, même si le panier d’aide pour favoriser la relève n’a jamais été aussi grand. Dans quelques années, on va assister à des entreprises qui risquent de ne pas être reprises. Est-ce que le service va être englobé dans une autre entreprise ou seulement arrêté d’être offert? Ça reste à voir. Il faudra garder ça à l’oeil. »
Qui plus est, les statistiques démontrent que les intentions de transfert d’entreprise ont doublé seulement entre 2021 et 2022. Différentes solutions existent et il faut parfois être créatif pour assurer une relève. C’est le cas par exemple des coopératives. L’option est moins commune, mais elle est sporadiquement utilisée.
L’entreprise Transport Philippe Day de Nouvelle, fondée en 1971, a été pendant presque 20 ans gérée par une coopérative de travailleurs jusqu’à son rachat par Sébastien Bernard et Louis Parent en 2018. Autre exemple, les employés de CHNC qui, le 19 février 2007, ont eux aussi formé une coopérative afin d’acheter la station de radio qui fête ses 90 ans.
« C’est plus marginal, mais ça existe et il ne faut jamais balayer du revers de la main des options pour le transfert d’une entreprise », estime Dave Lavoie, prêchant pour sa paroisse et rappelant que la Coopérative de développement régional du Québec offre de l’accompagnement en ce sens et que la SADC elle-même a une enveloppe de 20 000 $ pour ceux qui choisiraient cette avenue.
N’en demeure pas moins que le transfert d’entreprise d’un propriétaire à un autre reste l’option la plus commune, même si la vente peut parfois achopper au dernier moment. « Des fois, le vendeur demande trop ou renégocie à la toute fin du processus. Ça finit par avorter, ça meurt dans l’oeuf et il n’y a aucune vente, seulement une fermeture. On l’a vu encore récemment et des repreneurs, il n’y en a pas des tonnes non plus », se désole Dave Lavoie.
Dave Lavoie, directeur général de la SADC à Gaspé. Photo : Jean-Philippe Thibault
À l’heure où le prix des entreprises peut rapidement grimper au-dessus du million de dollars, il peut aussi parfois être intéressant de penser à un financement de la part du cédant, que ce soit en partie ou en entier. L’option est particulièrement alléchante dans le commerce de détail et la restauration, deux domaines où, historiquement, les institutions financières sont plus craintives. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé de faire Claudine Roy, à Gaspé.
L’histoire du Brise-Bise est bien connue et a pratiquement fait école. Claudine Roy a fondé ce qui allait devenir une institution de la restauration en 1986. Elle a passé le flambeau à la fin de l’année 2015 à un jeune entrepreneur, Simon Poirier. Celle qui est de tous les combats pour la défense et le développement de sa Gaspésie bien aimée a elle-même financé son successeur, qui l’a payée rubis sur l’ongle encore plus rapidement que prévu.
« On avait un protocole de remboursement sur 10 ans, et ça s’est fait à l’intérieur de six ans. Sans ça, les jeunes n’auraient pas accès à ce genre de propriétés parce que les banques sont très frileuses, surtout en tourisme, dans la restauration et l’hébergement. Pour nous, ç’a été un véritable succès », se réjouit-elle.
Claudine Roy utilisera la même stratégie avec l’Auberge sous les arbres, autre institution sur la rue de la Reine qu’elle a mise sur pied. L’entrepreneure a acheté l’établissement en octobre 2014 (avec Thierry Petry) et l’a revendu en mars dernier au couple formé par Stéphanie Lachance – revenue dans sa région natale pendant la pandémie – et son conjoint Diego Valdes-Liberona. Entre les trois, la complicité a tout de suite opéré. Encore une fois, Claudine Roy finance la vente. « Eux cherchaient à acheter quelque chose dans l’hébergement parce qu’ils ont leur cours en gestion hôtelière. Ç’a été un peu le même refrain, que jamais ils n’auraient les moyens. Alors, j’ai décidé de financer 100 % du transfert de cette entreprise. »
« Un jeune qui commence a peut-être les compétences, mais n’a probablement pas les sommes à portée de main, confirme Dave Lavoie. Avec une balance de paiements, le cédant met des conditions qui sont gagnantes. Il ne touche pas nécessairement l’argent de la vente tout de suite et il y a le risque que le nouvel acheteur fasse moins bien, mais d’un autre côté, tu favorises à ce que la vente se fasse. Fiscalement parlant, le vendeur ne reçoit pas tout d’une shot où il serait grandement imposé. Peut-être aussi que tu fais un peu moins d’argent, mais tu t’assures que ton offre va te survivre. »
Claudine Roy a vendu l’Auberge sous les arbres et finance 100 % du transfert. Photo : Jean-Philippe Thibault
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